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Photo : Olivier Ravoire

Le deuxième cycle des Entretiens d’Albert-Kahn, organisé le 23 novembre 2012 à la Maison historique d'Albert Kahn à Boulogne, avait pour thème les monnaies complémentaires. Et pour invité principal Bernard Lietaer.

Il avait prédit la crise. Il y a près de quinze ans, Bernard Lietaer, économiste et universitaire, annonçait qu’entre 2005 et 2020, « nous allions être obligé de repenser entièrement notre système en raison du vieillissement de la population, des changements climatiques, de la fin de l’ère industrielle et de l’instabilité financière. » Une instabilité qu’il explique ainsi : « tous les écosystèmes naturels sont durables parce qu’ils ont atteint l’équilibre optimal entre efficience et résilience. Le problème de notre système financier est qu’il accorde plus d’importance à l’efficience. » Depuis 1970, selon les chiffres du FMI, le monde a connu 145 crashs bancaires, 208 crises monétaires, 78 crises de dette souveraine. Soit 425 au total et environ dix par an. « Ma certitude est qu’il y aura de plus en plus de crashs », annonce Bernard Lietaer.

Par opposition, il s’est intéressé aux périodes de l’Histoire marquées par la stabilité économique. Ce sont des sociétés où existait un système monétaire dual. « En France, par exemple, pendant 250 ans, du Xe au XIIIe siècle, il n’y a pas eu de récession. À cette période, chaque région avait sa propre monnaie voire plusieurs. Aujourd’hui, le problème ce n’est donc pas l’euro, c’est le monopole d’une seule monnaie ».

D’où l’importance selon lui de développer les monnaies complémentaires. « Dans une économie normale, il y a des actifs sous-utilisés et des besoins non satisfaits, la monnaie complémentaire est un pont entre les deux », résume-t-il. En 1984, il existait deux monnaies complémentaires, une en Suisse et une au Canada. En 2005, on en dénombrait plus de cinq milles aux quatre coins de la planète. Preuve de leur intérêt. « La plupart de ces systèmes à vocation sociale fonctionnent intentionnellement à une échelle restreinte », précise-t-il.

Bernard Lietaer a de nombreux exemples à l’appui. Ainsi depuis 2010, la municipalité de Gand a mis au point les torekes dans le quartier Rabot, le plus pauvre de la Belgique flamande. Objectif : promouvoir les activités liées à l’environnement et la santé, réhabiliter le quartier et améliorer la qualité de vie des habitants. Les torekes sont obtenus en échange d’une participation aux activités locales ou de services rendus : fleurir ses rebords de fenêtre, aider au nettoyage du stade… Avec les torekes, les habitants peuvent ensuite louer des parcelles de jardins – un souhait qu’ils avaient émis au cours d’une enquête -, acheter des tickets de transports en commun ou des places de cinéma et certains articles dans les magasins comme des ampoules basses consommation ou des fruits de saison. Les commerces participants échangent ensuite les torekes contre des euros. « Le système a connu un succès conséquent au point de ne pas pouvoir faire face à l’afflux de volontaires. Même dans cette phase initiale, les résultats obtenus par rapport au budget sont estimés trois fois supérieurs à ce qui aurait pu être attendu sans le système des torekes. »

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les monnaies complémentaires peuvent relever de l’initiative privée ou publique, se combiner entre elles, être échangeables contre la monnaie nationale ou pas, elles peuvent avoir un taux d’intérêt négatif pour décourager l’épargne… « Aujourd’hui, le plus grand frein est l’habitude. L’instauration d’une monnaie complémentaire nécessite un changement de paradigme difficile à accepter », conclue Bernard Lietaer.