Tandis que certains, en 2001, tentant de prévenir contre une rapide
montée en charge de l’APA, s’inquiétaient de constater une absence de
financement pérenne, d’autres s’efforçaient de rassurer en mettant en
avant l’énorme gisement d’emplois induit par le dispositif ; des emplois
par centaines de milliers et non délocalisables. On table plus raisonna-
blement aujourd’hui sur 50 000, la prise en charge de la dépendance
s’avérant très exigeante en main-d’œuvre très professionnelle, sinon
très qualifiée ; une main-d’œuvre qu’il faut être capable d’attirer et
conserver, donc de rémunérer en conséquence par des prélèvements sur
la richesse créée, pour l’essentiel, par les secteurs d’activité exposés à la
concurrence internationale.
Pour privilégier la seule dimension positive du vieillissement démogra-
phique – la valeur ajoutée générée par l’activité économique accompa-
gnant le phénomène –, on vante désormais la Silver économie. Outre la
question de savoir quelle population et quelle demande elle est censée
satisfaire et couvrir, la Silver économie pose la double question de la
nature et de l’organisation de la production. Face au vieillissement, une
stratégie peut être de rendre les biens et services accessibles à tous
(design pour tous), une autre de développer des produits accessibles
spécifiquement aux personnes âgées ou dépendantes (design pour
plus), l’une et l’autre présentant des avantages et limites selon le type
de produit ou service considéré. Une autre approche, qui n’est pas non
plus exempte de freins et d’enjeux, consiste à concevoir de nouveaux
produits de façon participative en faisant le lien entre les acteurs du
champ de la santé et de la solidarité, les industriels et les consomma-
teurs (design avec tous). Cette approche impose de raisonner en termes
de filière, de concevoir la Silver économie comme un écosystème dans
lequel la réponse à un besoin (santé, mobilité, sécurité, loisir, …) pour
une catégorie donnée de clients va définir un « bouquet de services »,
un « bouquet de solutions » spécifique. En fonction du client, un même
besoin pourra être traité différemment.
Pour considérer le marché des services et des nouvelles technologies,
si le spectre des services et des bouquets dédiés aux personnes âgées
et dépendantes est large, la logique économique contraint cependant à
le structurer en vue de le rendre économiquement rentable. L’obligation
d’offrir des bouquets de services tout en assurant l’interface entre les
multiples intervenants requiert une automatisation des flux d’informa-
tions entre acteurs, étroitement dépendante du développement des
infrastructures numériques (maison intelligente, internet des objets) et
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compliquée. La question se pose de savoir dans quelle mesure la
substitution d’une solidarité organique (articulée sur quelques principes
communs et garantie par la puissance publique ou le marché) à une
solidaritémécanique (fondée sur une communauté d’affections, d’expé-
riences, de buts, d’obligations, de valeurs morales, sur des réseaux
denses et des rapports interpersonnels réguliers) peut aussi produire
indifférence, égoïsme et perte du « goût des autres ».
Le vieillissement démographique, un cas d’école
pour la volonté politique
Les alertes sont données, les diagnostics et thérapies doctement
établis dans d’innombrables livres blancs, rapports, articles. Pourtant,
le vieillissement démographique se pose toujours en France comme
un redoutable défi. Le temps n’est, à l’évidence, pas encore venu d’une
large subordination du principe de plaisir au principe de réalité. En
lieu et place d’amples et vigoureuses actions de communication, de
sensibilisation aux enjeux du futur, d’explications sur les dangers du
statu quo
, les faux prétextes et les illusions prospèrent, entretenant
les fuites en avant.
Faux prétexte et illusion : la croissance économique. Quand elle s’avère
trop faible, elle justifie toutes les mesures, y compris les plus contraires
aux intérêts collectifs à long terme. Mais lorsqu’elle se fait plus forte, à
défaut d’être réellement pérenne, elle entretient l’illusion que l’on peut
se dispenser de décider, voire dilapider le surplus au profit d’intérêts
immédiats et au détriment des provisions qu’il faudrait constituer pour
l’avenir.
Faux prétexte et illusion : le retournement démographique. On nomme
ainsi le phénomène de relève dans les âges d’activité professionnelle
des générations du baby-boom par les générations moins nombreuses
nées depuis 1975. Le retournement démographique permet de détour-
ner l’attention de la relève en cours au sommet de la pyramide des âges :
celle des générations peu nombreuses de la première guerre mondiale
et de l’entre-deux-guerres par les générations du baby-boom. Il laisse
surtout à croire que le problème du chômage et de l’emploi se règlera
mécaniquement ; ce d’autant plus sûrement et rapidement que le vieil-
lissement de la population constitue un formidable gisement d’emplois.
Faux prétexte et illusion : le vieillissement de la population pourrait
bien, lui aussi, y prétendre.
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