43
iPhone, d’avoir cet objet technologique. La question de son acceptabilité
ne se pose pas. Pour le robot il faut suivre la même démarche : il faut
donner l’envie de l’avoir. Pour cela, il ne faut pas que robot soit quelque
chose d’imposé ni qui soit associé à la compensation d’une limitation ou
d’une dépendance. Au contraire. Il faut en avoir envie. Pour cela, il faut
qu’il ait des capacités intéressantes : j’en ai envie parce que c’est utile
et ludique à la fois. Il ne faut pas voir ces technologies uniquement sous
l’angle de l’aide et de l’assistance, et c’est justement possible, parce qu’il
est relativement aisé d’inclure une diversité de capacités attirantes
dans un objet qui, à l’origine, est destiné à l’assistance.
Quant à la question de la solvabilité et des problèmes économiques :
dès lors que l’on se pose la question de l’acquisition de ces objets non
pas par les seniors, mais par l’ensemble de la société, les jeunes et les
moins jeunes, le marché deviendra beaucoup plus large et l’accès à la
technologie beaucoup plus aisé financièrement car la filière sera celle
du grand public.
Raja Chatila
Directeur de recherche au centre national
de la recherche scientifique (CNRS)
42
J’énoncerai pour commencer ce que signifie, de mon point de vue,
l’expérience éthique dans le contexte de l’innovation numérique. Tout
d’abord, elle nous invite à intégrer le fait que ce qui est technologique-
ment possible, voire fascinant d’un point de vue scientifique, n’est pas
toujours humainement ni socialement souhaitable. Il convient à partir
de là d’identifier un certain nombre de valeurs qui sont susceptibles
d’encadrer ou d’orienter l’expansion des technologies, idéalement en
amont de leur conception. Le développement de l’ère du numérique est
en ce sens directement concerné par une réflexion sur la signification
que nous souhaitons attribuer à notre vie individuelle et collective. Cela,
même si les problèmes que les nouvelles technologies sont susceptibles
d’induire d’un point de vue éthique sont difficiles à cerner dans une
époque hypermoderne où les progrès technoscientifiques sont le plus
souvent jugés comme nécessairement bénéfiques.
Dans le contexte plus spécifique du développement de la robotique et
de la domotique, le défi éthique s’avère d’autant plus délicat. Il s’agit en
effet d’évaluer des dispositifs qui sont en principe conçus pour favoriser
le bien-être et le confort, en permettant à des personnes dépendantes
de conserver, voire de reconquérir, un certain niveau d’indépendance.
Cette démarche est
a priori
fidèle à quelques grands idéaux philoso-
phiques de la modernité, parmi lesquels l’autonomie du sujet ainsi que
le respect de la dignité des personnes. Or par rapport à ces idéaux, un
certain nombre de questions se posent malgré tout.
Premièrement, le développement de la robotique et de la domotique
nous incite à nous questionner sur l’expérience même de la reconnais-
sance (des personnes). D’un point de vue existentiel, nous éprouvons
de la reconnaissance dans l’échange et la parole vive, par le regard
d’autrui. Or si certaines médiations technologiques permettent de
pallier l’absence (si l’on songe à certains robots personnels et domes-
tiques), elles ne sauraient constituer une réponse à une demande
affective qui touche le sentiment d’être soi. Car comme l’écrivait Martin
Buber : « Je m’accomplis au contact du
Tu
, je deviens
Je
en disant
Tu
»
9
.
Autrement dit, je demeure un sujet dès lors que je me sens reconnu
dans un échange direct avec un autre. Cette richesse de l’interlocution
étant rappelée, l’enjeu d’une approche éthique consiste en outre
à évaluer le sens de l’agir dans des environnements connectés. Est-ce
que lamultiplication de systèmes dits « intelligents » dans nos environ-
(9) Martin Buber,
Je et Tu
, Présentation inédite de Robert Misrahi, Avant-propos de
Gabriel Marcel, Préface de Gaston Bachelard, Paris, Aubier, 2012, p. 44.