L’idée d’utiliser des robots pour aider des personnes âgées à rester auto-
nomes plus longtemps est née, d’abord au Japon, devant le constat que le
nombre de personnes âgées augmentait et que le nombre de personnes
disponibles pour s’occuper d’elles diminuait. S’il était possible d’avoir
une assistance humaine à temps plein pour veiller sur les personnes en
situation de perte d’autonomie, la question de la robotique d’assistance
ne se poserait pas. Mais même dans notre pays, où la démographie n’est
pas encore aussi préoccupante qu’au Japon, on a bien vu avec les effets
de la canicule de 2003 que trop de personnes âgées restaient seules
trop longtemps. Se ralliant à la position de médecins, de gérontologues
et d’une manière générale des aidants, Aldebaran pense qu’il vaut mieux
une assistance robotisée plutôt que pas d’assistance du tout et reconnaît
que cela ne remplacera jamais une assistance humaine.
Quand elle a été créée par BrunoMaisonnier en2005, la sociétéAldebaran
avait pour vocation de fournir des robots humanoïdes qui deviendraient
des compagnons domestiques, prêts à distraire et à aider le plus grand
nombre. C’est ainsi qu’est néNao, un robot humanoïde de 58 cmde haut.
Le marché du grand public est celui que tous les roboticiens visent, car
il est gigantesque, mais avant de pouvoir atteindre ce public exigeant
(car il a bien d’autres sources de distraction et des besoins d’assistance
limités), les robots peuvent répondre, à relativement court terme, aux
attentes des personnes qui vieillissent et de ceux qui les entourent. Ce
glissement de destination du produit arrive régulièrement : les usages
vont recycler des technologies qui n’avaient pas été imaginées pour
cela. Les smartphones sont un excellent exemple de détournement
des usages. À l’origine, c’est un téléphone qui est ensuite devenu un
support pour la musique, pour le jeu puis un objet connecté qui donne
accès à une infinité de services. Aujourd’hui des services de e-santé
apparaissent sur nos téléphones. Ils n’ont pas été créés pour ça mais
leur technologie leur permet d’offrir un moyen de suivre son activité,
son alimentation, son poids, sa tension… Et leur diffusion, auprès des
personnes fragiles qui ont besoin de ce suivi et qui ne représentent
qu’un marché réduit, est possible car les smartphones ont été produits
en quantité colossales pour le marché du divertissement.
Avant de travailler chez Aldebaran, je travaillais au Commissariat à
l’Énergie Atomique où je développais, avec d’excellents roboticiens,
des robots d’assistance aux personnes handicapées. Mais ces robots
ne dépassaient jamais le stade du prototype car leur industrialisation,
pour les rendre fiables et abordables, nécessitait un investissement
trop important pour qu’une PME s’y risque et pour atteindre un marché
trop réduit pour qu’une grande entreprise s’y intéresse. En partant chez
Aldebaran, j’avais le sentiment de trahir un peu la cause de la robotique
d’assistance au profit de la robotique de divertissement mais j’ai compris
bien vite qu’il serait probablement plus rapide de transformer un robot
de divertissement diffusé en très grande série en un robot d’assistance
que de trouver des investisseurs et unmodèle économique pour vendre
des robots spécifiquement conçus pour les besoins des personnes en
situation de perte d’autonomie. C’est un autre aspect du « design for
all » : c’est vrai qu’un robot qui aide une personne handicapée pourra
aussi être utile à une personne valide mais il est vrai aussi qu’un robot
fait pour le plus grand nombre (surtout si sa forme humanoïde ne le
contraint pas à un usage unique) pourra aussi être utile à des personnes
ayant des besoins spécifiques.
Voilà pourquoi nos robots sont loin, et le resteront encore longtemps, de
pouvoir remplacer une assistance humaine. Ils pourront, avec les capaci-
tés dont nous aurons réussi à les doter, être des « bouche-trous » dans
l’agenda d’une personne seule pour essayer de la distraire, de veiller sur
elle et de s’assurer qu’elle ne s’isole pas de plus en plus. Le robot pourra
rappeler à la personne de penser à s’hydrater quand il fait chaud, de
prendre sesmédicaments. Il pourra également la stimuler cognitivement
en discutant avec elle sur des sujets simples ou en jouant avec elle à des
jeux de mémoire ou de réflexion. On envisage de l’utiliser aussi comme
un coach sportif qui montre des mouvements que la personne devra
imiter. Le robot pourra vérifier que la personne est aussi active qu’à son
habitude et prévenir son entourage si ce n’est pas le cas.
Il faut bien reconnaître que spontanément l’accueil d’un robot d’assis-
tance par les personnes âgées est assez froid. L’idée de parler avec une
machine, de partager son environnement avec une grosse mécanique
compliquée et d’en devenir dépendant ne les réjouit pas. Mais quand on
leur présente un robot comme Nao, petit, tout en rondeur, qui parle avec
unevoix sympathique, leur perspective change complètement. L’alluredu
robot projette dans leur esprit que cette machine n’est pas une menace
mais un petit compagnon sympathique avec lequel elles ont naturelle-
ment envie d’interagir. Ce sont elles alors qui demandent ce que le robot
peut faire et imaginent de nouveaux usages. Ce sont des résidents d’un
EHPAD qui nous ont suggéré que le robot pourrait servir d’intermédiaire
entre deux personnes qui ne se parlent pas mais dont les conversations
avec le robot auront révélé des points d’intérêt commun.
D’une manière générale, les applications que nous développons sont
des réponses à des demandes faites par les utilisateurs. Aldebaran
n’a pas la prétention de savoir, spontanément, ce qui est bon pour les
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