À l’instar de l’évidence de la « Grande Histoire », le caractère indiciaire
des photographies de Patrick Tournebœuf est trompeur. En effet, par
les temps de pause très longs, il introduit une dramaturgie : l’environ-
nement est presque dilué, rendant le monument visible de manière
inédite, presque vivant. Une sorte d’étrangeté critique face à ce qui
faisait désormais partie du décor urbain est réintroduite. Au-delà de
l’exercice de l’inventaire, Patrick Tournebœuf nous invite à une véritable
expérience de dévoilement, ravivant, par une démarche réflexive, ce qui
avait été anesthésié par l’épaisseur de l’histoire.
Avec le temps, l’émotion, consubstantielle au traumatisme, est progres-
sivement assourdie au profit du travail d’analyse et d’explicitation. Des
chaînes de causalité sont établies, les héros sont désignés, le récit est
naturalisé, appris par cœur à l’école, célébré au rythme des dates anni-
versaires. À contresens, la démarche de Patrick Tournebœuf rappelle
que l’Histoire résulte d’une construction et nous invite à interroger le
regard actuel porté sur le passé. Il utilise pour cela notre sensibilité,
réintroduisant une empathie avec la réalité vécue par nos ancêtres et,
par la même, une nécessaire complexité.
Valérie Perlès
Directrice d’Albert-Kahn,
musée et jardin départementaux
Patrick Tournebœuf est photographe et membre du collectif de pho-
tographes « Tendance floue ». Sa démarche, résolument plastique et
systématique, retrace la présence humaine, dans des lieux qui en sont
a priori
privés. Àpartir de2003, il consacreunepartiede son travail à la
fixation des stigmates de l’Histoire, avec trois séries : «La Cicatrice»,
sur les traces dumur de Berlin, « Lamémoire du Jour J », sur les plages
du débarquement en Normandie, et « Stèles », sur les monuments
aux morts de la Grande Guerre. À partir des années 2000, il mène
un travail sur le patrimoine, une recherche « Monumental », qui fait
apparaître une écriture à mi-chemin entre le documentaire et un
questionnement sur les ambiguïtés de la représentation du réel. Il
participe à l’exposition « Les âmes grises » au musée Albert-Kahn
en 2014.
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Les quatre culture
du temps
Tactiques quotidiennes
pour résister
à l’accélération
Michelle Dobré