Introduction
Parler d'économie de la connaissance, et de la place de l'université
dans l'économie de la connaissance, c'est prendre le risque de dire de
très grandes généralités et banalités. On pourra se rapporter à ce que
l'on trouve dans les rapports de l'OCDE ou les textes de la Commission
européenne, du type Stratégie de Lisbonne (2000). Ainsi des trois
piliers de Göteborg (2001) : importance de la recherche-développement
et innovation ; importance de l'éducation et du capital humain ; impor-
tance des technologies de l'information et de la communication
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. Il est
toujours intéressant de voir comment les choses ont déjà largement
bougé depuis le début des années 2000, moment de la position de
l'enjeu de l'économie de la connaissance dans les politiques publiques
en Europe. Car les transformations sont aujourd'hui bien plus profondes
qu'imaginées alors : par le caractère central du numérique comme mode
d'accès à la connaissance, de partages divers et de création de nouvelles
connaissances et activités économiques, c'est la contestation de l'autorité,
du pouvoir et de la richesse liés à la possession exclusive du savoir qui
est en jeu.
Pour l’université elle-même, les enjeux sont de divers ordres. Ils sont
pédagogiques, comme l’incarne le cas des MOOCs, que l’université Paris
Ouest Nanterre La Défense fut l’une des premières en France à propo-
ser — en philosophie et en histoire —, et avec un grand succès. Ils sont
aussi, bien sûr, scientifiques autour notamment des usages sociaux du
numérique, de l'archivage des données numériques et numérisées, ou
de la création artistique à l'heure numérique — autant de questions tra-
vaillées au sein des deux Laboratoires d'excellence (Labex) « Les Pas-
sés dans le Présent » et « Arts H2H » ou de l'Initiative d'excellence en
formation innovante (IDEFI) « CreaTIC », dont l'université Paris Ouest est
porteuse ou partenaire. Enfin, ils sont organisationnels : l'université va
consacrer une aile de sa bibliothèque à un projet de Centre de ressources
et de cultures numériques (CRCN), lieu tourné vers la mise à disposition
de données numérisées et de travail sur ces données, l'objectif étant
d'en faire un nouveau modèle de lieu d'étude et de collaboration qui
pourrait essaimer dans le reste de l'université.
Or, puisqu'il s'agit ici de réfléchir à nouveaux frais et de sortir des
sentiers battus, je proposerai d'analyser rapidement les différentes
notions qui sont aujourd'hui utilisées pour tenter d'exprimer la manière
dont l'université doit contribuer à l'économie de la connaissance, afin
de mettre en évidence certains impensés, mais aussi de mettre au jour
des formes nouvelles qui pourraient être développées. Ces notions
désignent autant de modalités de la contribution de l'université à l'éco-
nomie de la connaissance, modalités qui sont en tension entre elles, et
qui invitent à revoir le périmètre de l'économie de la connaissance et
repenser le rôle et les missions de l'université.
Transfert, dialogue sciences-société
et science collaborative
Commençons par la notion de « transfert », présente depuis la loi de
2007 sur les universités – dite loi LRU ou loi Pécresse —, et maintenue
dans le cadre de la loi de 2013 – dite loi ESR ou loi Fioraso. Par transfert,
on entend le processus qui va de la transformation de la découverte
scientifique en innovation technologique, et de l'innovation technolo-
gique au produit industriel. En d'autres termes, il s'agit de comprendre la
manière dont l'université participe à la société ou l'économie comme un
passage d'unmilieu à un autre. Pour le dire rapidement, cette conception
apparaît pour beaucoup, dans le monde de l'enseignement supérieur et
la recherche, comme en partie dépassée — en gros comme une concep-
tion du XX
e
siècle —, car elle est beaucoup trop restrictive pour décrire
les manières multiples, parfois inconscientes et involontaires, dont les
méthodes et les concepts se transmettent dans la société, se transfor-
ment et viennent alimenter les projets d'entreprise et, plus largement,
les initiatives sociales. C'est là que les sciences humaines et sociales, de
l'économie au droit à la sociologie, à l'histoire et aux études littéraires,
en passant par la psychologie et la linguistique, peuvent d'ailleurs
intervenir demanière féconde pour comprendre ce processus complexe.
D'autres concepts sont alors proposés, pour traduire un renversement
majeur dans lamanière de voir la participationde l'université à l'économie
de la connaissance, renversement que l'on peut exprimer comme le
passage d'une conception verticale, de haut en bas ou de bas en haut, à
une conception horizontale, dans l'immanence des échanges d'acteurs
mis sur un pied d'égalité. Il s'agit des notions de « dialogue science-
société », inscrite dans la loi ESR de 2013, ou de « science collabo-
rative ». Dans cette optique, les scientifiques professionnels sont
les membres parmi d'autres d'une élaboration commune du savoir, et
peuvent être ainsi frontalement remis en cause par des expertises
citoyennes. Portée notamment par le collectif «Alliance Sciences-Société»,
et particulièrement controversée sur les sujets comme les OGM, le
nucléaire, ou, plus récemment, la vaccination, les éoliennes et les ondes
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(1) Voir aussi l’ouvrage de Dominique Foray (directeur de la Chaire en économie et
management de l’innovation à l’EPFL),
L’économie de la connaissance
, La Décou-
verte, 2009.