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fait considérable. Ce n’est plus à partir de la définition économique
normative que se construit un bien communmais à partir d’une décision
collective et des usages qui en découlent. C’est là qu’apparaissent choix
et affirmation politique qui font des biens communs des construits
sociaux. Se développe alors une nouvelle définition, plus opérationnelle
et politique, selon laquelle « […]
pour faire des communs, il faut une
ressource commune + une communauté de
commoners
+ des règles et
des normes pour gérer cette ressource
»
8
. Dans ce cadre, le bien traité
comme un commun est généralement un bien dont on considère qu’il
est nécessaire au développement harmonieux des personnes. Dès lors,
la question de savoir s’il pèse ou non une pression de rivalité sur un
bien pour le définir comme un commun devient tout à fait secondaire. Il
peut s’agir d’un bien naturel oumanufacturé, matériel ou immatériel, ou
encore d’un service. Le savoir ou les logiciels libres peuvent être intégrés
au domaine des communs alors que non seulement il n’y a pas de rivalité
d’usagemais que, au contraire, plus il y a « d’utilisateurs » plus les exter-
nalités positives se développent. Ainsi, tous les biens qui n’étaient pas
strictement des biens communs, au sens économique du terme, mais
pour lesquels existe une communauté de gestion qui se fixe des règles,
entrent dans le champ des communs. Quant à la communauté, elle peut
être locale (pour un jardin partagé) ou globale (dans le cas deWikipédia).
Elle peut être formée d’individus, inclure des institutions publiques et/
ou des sociétés privées qui s’organisent à travers des règles d’usage
et une gouvernance. À ce stade s’affaiblit la distinction entre biens
collectifs et biens communs.
Quels nouveaux équilibres
entre privés/public/communautés ?
Consacrée par le prix Nobel d’économie en 2009, la reconnaissance
internationale d’Elinor Ostrom a permis une très forte diffusion de ses
idées et favorisé la « renaissance des communs ». Des communautés de
commoners
se sont développées avec une légitimité renforcée. Souvent
informels et auto-institués autour de la production et de la préservation
d’un commun, ces groupes doivent trouver des équilibres nouveaux
avec les structures publiques ou privées qui sont en charge des biens
qu’ils instituent comme communs. L’action des
commoners
dans
l’espace public — voire la constitution de l’espace public comme un
commun — est un exemple qui permet d’illustrer les frictions repérables
entre communautés et puissance publique ainsi que la recherche
de nouveaux équilibres
9
. Jardins partagés, bricolage urbain, boîtes
d’échange ou de don, animation de parcs, occupation de délaissés
urbains, etc., il ne manque pas d’exemples d’auto-organisation des
individus qui attestent d’une volonté de réappropriation et de réorgani-
sation de l’espace public. Ces initiatives se développent et questionnent
la collectivité en charge de l’ordonnancement de l’espace public et juri-
diquement responsable de son aménagement et de sa gestion. Si l’on
considère le
street art
comme un bien commun, alors se posera la ques-
tion desmodalités d’intervention de la collectivité. Comment discriminer
entre les tags à effacer et les œuvres d’art à protéger ? Au nom de qui
et de quelle norme ? Si on admet également la légitimité des individus
à intervenir dans l’espace public pour y produire des aménités (bancs,
boîtes d’échange, etc.), on pourra alors s’interroger sur les responsabilités
de chacun. Qu’arrive-t-il si un banc bricolé casse et blesse un enfant ?
Enfin, on constate régulièrement des tensions relatives à l’occupation
et l’animation de délaissés urbains. « In fine,
comment s’assurer que les
formes d’appropriation collective de l’espace public ne renvoient pas en
réalité à une privatisation par un groupe ? On le voit, considérer l’espace
public comme un commun, c’est mettre en tension deux formes de ges-
tion - et peut-être deux légitimités - ; celle de la communauté et celle de
l’institution
»
10
. Trois questions pratiques mériteraient d’être explorées
pour mieux comprendre le lien entre ces deux acteurs :
• par quels processus et sur quelle « scène » une institution reconnaît-
elle la légitimité d’une communauté de
commoners
? ;
• comment articuler les services publics et l’action des communautés ?
Ici la question est de savoir comment la puissance publique peut
intégrer les communautés à ses politiques ou, au moins, trouver des
cohérences ;
• enfin, dans l’hypothèse où la collectivité délègue une partie de son
action, comment s’assure-t-elle de la robustesse dans le temps des
communautés ? Ici il s’agit de consacrer le rôle de la puissance publique
comme garante des biens communs.
(8) David Bollier,
La Renaissance des communs. Pour une société de coopération
et de partage
, Éd. Charles Léopold Mayer, Paris, 2014 (2013 pour la version
anglaise), p. 146.
(9) Cet exemple est repris du rapport
Grand Lyon Métropole servicielle. Quelles
transformations pour l’action publique ?
, Ludovic Viévard et Nova 7, Métropole de
Lyon, 2015, p. 118. [En ligne] :
http://www.millenaire3.com/publications/grand-lyon-metropole-servicielle-quelles-transformations-pour-l-action-publique.
Consulté le 16 novembre 2015. On y trouvera également un exemple concernant
le Musée des Beaux-Arts de Lyon, p. 120.
(10)
Idem
, p. 119.