Comprendre et promouvoir
les biens communs numériques ?
Philippe Aigrain
Un cadre conceptuel
Comme on l'a vu, les communs se constituent autour d'une ressource
(physique ou intangible) à laquelle on choisit de donner un statut de
bien commun, « bien » devant être entendu ici hors de toute connota-
tion économique. Il est important de préciser en quoi ce statut diffère
d'une forme de propriété, fût-elle collective. Depuis le droit romain
et le droit canon, on a défini la propriété comme conjonction de trois
attributs : l'
usus
(la possibilité d'utiliser un bien), le
fructus
(possibilité
d'en tirer profit ou de l'enrichir) et l'
abusus
(possibilité de disposer d'un
bien ou d'en interdire l'usage à d'autres). Le statut de bien commun est
un agencement de ces trois composantes qui est différent de ceux
qu'on observe pour la propriété. L'usus est attribué à tous (on verra
que ce « tous » a des définitions différentes pour les biens communs
physiques et les biens communs numériques). Le fructus est également
ouvert à « tous »mais sa dimension économique peut être dans certains
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exclue des droits associés au bien commun. Enfin l'abusus est
restreint : on cherche à empêcher la destruction ou la détérioration du
bien commun, et on rejette l'appropriation qui permettrait d'en exclure
les autres. Il y a ici une différence fondamentale entre la
res communis
– la chose commune que nul ne peut s'approprier – et la
res nullius
– ce
qui n'appartient à personnemais qui peut devenir la propriété du premier
qui met lamain dessus –.
Dans la sphère physique, l'usage de biens communs comme les terres
à pâturage, l'eau, les mangroves ou le littoral, les forêts, etc., doit être
restreint à une ou des communautés de façon à éviter la destruction ou
la détérioration du bien. Il en va tout autrement pour les biens communs
numériques.
Spécificités des biens communs numériques
Qu'est-ce qu'un bien commun informationnel ou numérique ? Une
ressource représentablepar de l'information (qui peut être créée, stockée,
échangée, traitée en information) à laquelle on choisit de donner le statut
debien commun. Exemples concrets : les logiciels libres, les encyclopédies
libres, les manuels en libre accès et usage, les œuvres culturelles et
expressions libres, l'information génétique ou protéinomique, etc.
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(14) Par exemple pour les œuvres culturelles qui sont aussi éditées sur support
physique.