(l’homme étant un « loup pour l’homme », Thomas Hobbes), la pensée
du Bien commun considère plutôt la « personne » capable d’établir des
choix qui seront ensuite transcrits dans le droit. La personne est située
dans une relation :
1. à la nature :
la relation à la nature renvoie à une complexité de situations, tradui-
sant la façon dont les échanges culturels s’établissent, comme les
concepts se transforment lorsqu’ils changent de pays
20
. Par exemple,
la Conférence circumpolaire des Inuits a largement participé au débat
sur le texte de la Charte de la Terre - en particulier le Principe 7 du projet
initial de référence II : « Traiter tous les êtres vivants avec compas-
sion. » Cette dernière notion est très importante dans de nombreuses
traditions religieuses, mais était inacceptable pour les représentants
des cultures de chasse indigènes. Après une importante délibération,
la notion de « respect et de considération » pour les animaux a été
acceptée par tous au plan global ;
2. avec les autres hommes :
par exemple, en Europe, diverses conceptions concernant la gestion
du gaspillage alimentaire doivent être conciliées
21
. La Wallonie a une
relation culturelle particulière à l’hygiène et a facilement développé
une législation obligeant les supermarchés à redistribuer leurs invendus.
D’autres pays doivent encore davantage promouvoir l’éducation et la
concertation avec les autorités locales ;
3. avec elle-même :
la personne est amenée à réfléchir à ses propres choix et désirs. Il
s’agit de renouer avec l'homme dit concret, pour en faire un être respon-
sable, c'est-à-dire capable de réponse. On retrouve cette vision dans la
gouvernance des biens immatériels, comme par exemple le choix de la
gestion libre du savoir via l’Open Science (science ouverte) - à l’instar
de la recherche encadrée par des droits et des contraintes imposées.
4. avec les existences spirituelles :
par exemple, la gouvernance de la Seine ne sera pas lamême que celle
du Gange, car les leaders spirituels y ont une place substantielle.
II. Des arènes de choix collectifs
Les acteurs en situation réelle font des choix plus appropriés en termes
de gain collectif que les prédictions du choix rationnel, compte tenu de
l’importance de l’inter-connaissance qui suscite un engagement mutuel,
ou la capacité d’innovation ou d’adaptation des acteurs qui permet de
faire évoluer les règles et d’augmenter le gain collectif.
Ces « arènes de choix collectifs »
22
peuvent désigner des entités col-
lectives imbriquées, dumicro aumacro : un foyer (
oïkos
), une entreprise,
une communauté d’usagers, mais aussi les arènes de choix consti-
tutionnels d’une nation ou d’un groupe de pays. La gouvernance des
communs est synonyme de délibération éthique, car elle suppose de
tenir compte de la diversité des situations, des choix collectifs et des
mécanismes de changement. Que serait un bien commun défini par une
seule personne ou un groupe de personnes, sinon une tyrannie ? La
pensée du Bien commun tient ainsi compte des contradictions sociales
et de la complexité des décisions. Par exemple, lors du développement
de projets urbains, les habitants souhaitent des rues piétonnes… mais
veulent pouvoir circuler librement en voiture et jusqu’à la porte de leur
logement. Au-delà de l’intérêt général ou de principesmoraux, la concer-
tation devient ainsi un moyen d’identifier les jeux d’acteurs.
Cette prise en compte des équilibres de pouvoir se retrouve par exemple
dans la pensée sociale de l’Église. La récente encyclique papale
Laudato si
(18 juin 2015) valorise une « écologie intégrale ». Elle rappelle certes
que la propriété représente le lieu de réalisation de soi, contre une forme
de précaritématérielle qui interdirait à l’homme une réelle auto-réalisation.
Elle encourage également à garantir une « option préférentielle pour
les pauvres », accompagnée d’une place importante accordée au travail
et à la participation des personnes dans la communauté. Dans cette
recherche d’équilibre - et par opposition à la logique marxiste fondée
sur la structure - l’État n’aurait qu’une place limitée. Il encouragerait
ainsi l’initiative privée dans une optique de justice sociale. Le « principe
de subsidiarité » inspire les choix de gouvernance des communs, car il
repose alors sur plusieurs objectifs enchevêtrés :
- respect et promotion de la personne et de la communauté ;
- mise en valeur des corps intermédiaires ;
- encouragement de l’initiative privée dans l’optique du Bien commun ;
- décentralisation administrative ;
- responsabilité appropriée de la personne, et reconnaissance de son
rôle de partie active dans la réalité politique et sociale du pays.
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(20) V. Chansigaud, « La nature des uns n’est pas celle des autres, ou comment
comprendre les différences culturelles », Bridge-Builder #11,
commongoodforum.eu(21) V. Hacker, « Le gaspillage alimentaire : des enjeux complexes et inter-reliés »,
et « L’alimentation, un Bien commun », Projet DWOF,
http://urlz.fr/2PvI(22) V. Hacker, C. Favier, « La gouvernance des communs et les arènes d’action
dans un village de montagne en Moselle : de l’environnement à la culture »,
Bridge-Builder #11, pp. 26-33,
www.commongoodforum.eu