Pour autant, si l’ensemble de ces initiatives qui associent les citoyens
semble amener à une gouvernance partagée des données publiques
ouvertes, plusieurs interrogations font que ces biens communs, s’ils
relèvent bien de cette catégorie, ont des caractéristiques particulières
amenant des problématiques spécifiques.
II – Les données de l’Open Data, un bien commun
pas comme les autres qui amène des questionne-
ments spécifiques
Si les données publiques de l’Open Data sont bien produites par un
producteur, celui-ci en perd la propriété dès qu’il les publie.
Il ne s’agit donc pas de biens communs immanents, comme l’eau, l’air,
la biodiversité, etc., mais de biens produits par une autorité publique
qui se sépare de leur propriété dès qu’elle les publie en Open Data. Cela
amène à créer des biens communs de la connaissance, accessibles à
tous librement, sur lesquels chaque producteur doit renoncer à ses
droits de propriété et aux droits de propriété intellectuelle. On peut citer
à nouveau Lionel Maurel, pour qui «
avec l’Open Data, l’État renonce
à considérer les données qu’il produit comme un ‘‘patrimoine’’ ou un
‘‘actif’’ immatériel. Le droit de propriété qu’il pourrait revendiquer sur
ces informations s’efface au profit d’un droit d’usage que la puissance
publique garantit à tous les acteurs. Cette approche érige l’information
publique en un bien commun informationnel : une ressource partagée
par une communauté d’utilisateurs rassemblés pour en définir des
règles de gestion durable
».
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Ce point n’est pas neutre pour les acteurs
publics. La perte de propriété va bien sûr de pair avec le sentiment de
dépossession (et de perte de pouvoir) des administrations, et au sein de
celles-ci, des individus qui la composent et disposent de données parfois
(souvent ?!) jalousement conservées et exploitées, selon le principe
bien connu qui veut que « qui détient l’information détient le pouvoir
». Le droit de propriété que l’acteur public pourrait revendiquer sur ces
informations s’efface ainsi au profit d’un droit d’usage que la puissance
publique garantit à tous les acteurs.
Le difficile renoncement aux droits de propriété intellectuelle se traduit
par des limites à l’ouverture en matière de données culturelles, ce que
d’aucuns considèrent comme un freinmais d’autres comme de légitimes
limites liées au besoin de juste rémunération du producteur de ces
données. En la matière, une directive européenne PSI («
Public Sector
Information
») dont la transposition en droit français est en cours de
discussion à l’Assemblée nationale, prévoit certes la gratuité mais avec
possibilité de redevances dans le champ de ce type de données. Le pro-
jet de loi de transposition, dit Loi Valter fait certes entrer la culture, la
recherche et l’enseignement dans le champ de la Loi CADA mais «
tout
en maintenant un dispositif particulier de protection
». La question de
ces redevances n’est pas anodine, car elle concerne notamment les
redevances entre administrations (cela concerne les données de l’IGN,
de l’INSEE, etc.) : un rapport doit ainsi être rendu prochainement visant
à quantifier les coûts directs et indirects induits par la persistance de
redevances entre administrations qui amènent le contribuable à payer
plusieurs fois pour une même donnée (lors de sa fabrication par l’INSEE,
lors de son achat par les administrations,...).
Autre spécificité : la perte de propriété liée à lamise en ligne des données
ouvertes s’accompagne d’unmaintien de la responsabilité du producteur.
Le producteur de la donnée ouverte en Open Data reste en effet
identifié. Que se passera-t-il quand une donnée ouverte donnant lieu
à réutilisation comportera une inexactitude pouvant entraîner une
recherche de responsabilité ? Par exemple, imaginons que la localisa-
tion de l’ensemble des défibrillateurs installés dans les lieux publics
soit rendue publique et qu’une application permette de géolocaliser
le défibrillateur le plus proche de soi en cas de nécessité ? Que se pas-
sera-t-il quand, inévitablement, un jour, le défibrillateur réputé le plus
proche aura disparu, été déplacé, entraînant un retard dans l’accès à cet
équipement d’urgence ? Qui sera responsable ? Il est fort probable que le
développeur de l’application se retranche derrière la donnée originelle,
celle publiée sur internet par un producteur qui en aura cédé la propriété
mais sera tenu responsable de sa véracité (et si ce n’est en termes de
responsabilité juridique, pour le moins de responsabilité morale).
Cette question amène à celle de la qualité des données produites en
Open Data.
Pour répondre à cette exigence de qualité, il est ainsi envisagé dans le
projet de loi Lemaire, de définir des standards de qualité pour certaines
données publiées, notamment les données de référence. Publier ne
suffit en effet pas toujours, encore faut-il que la publication se fasse
dans un format réellement ouvert (le PDF n’en est pas un !), intelligible,
réutilisable notamment par traitement automatisé. Mais encore faut-il
que l’ensemble des champs de la donnée soit correctement renseigné,
exhaustif et mis à jour régulièrement.
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(30)
Ibid
.