Nous savions qu’en abordant la question des biens communs et des
biens publics, nous prenions un risque, celui d’aborder un sujet difficile
du fait de son caractère juridique, mais aussi politique. Le sujet se
confirme complexe de par les notions qu’il véhicule et qui elles-mêmes
sont en évolution. Derrière la dimension juridique qui est certes
impressionnante, une fois la clarté des concepts faite, ces notions nous
donnent à voir les problématiques de notre société sous un autre jour.
L’intervention de Ludovic Viévard nous a permis d’entrée de jeu de cla-
rifier la notion de « commun ». La classification avec les dimensions de
rivalité et d’excluabilité nous permet de nous élever et de mieux cerner
ainsi la définition des biens « collectifs », plutôt d’ailleurs que des biens
« publics », qui sont des biens non-rivaux et non-excluables. L’exemple
de l’eau est utile, car pour ceux qui ne manquent pas d’eau, l’eau consti-
tue un bien collectif, pour ceux qui en manquent, un bien commun.
Les travaux d’Elinor Ostrom qui lui ont valu le prix Nobel d’économie en
2009 montrent que la décision collective et les usages peuvent jouer
un rôle bien plus important que la seule norme économique. Mais alors
comment reconnaître les communautés de
commoners
et articuler le
lien entre ces communautés et l’action publique ? Cette question reste
entière comme nous le montre Ludovic Viévard. Nous retenons de son
intervention également que le rôle des collectivités se trouve déplacé
vers celui «
d’institutions hôtes pour un dialogue citoyen plus large (…)
avec pour conséquence qu’elles sont davantage garantes des biens
communs que gestionnaires de ceux-ci
».
Le témoignage de Frédérique David sur l’aménagement des berges de
Seine est intéressant et illustre bien la complexité dans laquelle l’action
publique s’inscrit. La politique départementale intervient pour favoriser
l’accessibilité et la sécurité des berges (notamment contre les risques
d’inondation) à un public large d’usagers et ce afin de ne pas les aban-
donner à un usage privé.
La question des biens communs prend également de l’ampleur avec le
numérique. L’exemple du programme de l’Open Data témoigne de la
volonté politique du président de notre Département Patrick Devedjian
de rendre accessibles les données publiques. Ce type de démarche au
niveau départemental reste encore une exception au niveau national.
Les données publiques rejoignent la question des biens communs selon
Emmanuelle Durandau, «
puisqu’une fois ouvertes, les données bas-
culent dans un mode de gestion collectif
».
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La question des biens immatériels soulevée par Philippe Aigrainmontre
l’importance de l’affirmation de la société civile, la nécessité de dé-
fendre une certaine conception de la démocratie. L’action publique doit
intégrer cette dimension, selon lui, pour protéger les biens communs
informationnels, mais aussi pour bénéficier des apports en compé-
tences techniques, en innovation et en développement social soulevés
par ces champs d’activité. En effet pour Philippe Aigrain, «
le soutien à
la contribution aux communs peut être un facteur important de déve-
loppement territorial
».
L’intervention de Violaine Hacker nous interpelle en proposant de
«
gouverner Par le Bien Commun
». L’école néo-institutionnelle en
sciences politiques permet, selon elle, de ne pas réduire l’être humain
au seul
homo economicus
en intégrant la dimension émotionnelle et
spirituelle de l’homme pris ainsi dans sa globalité, dans sa relation à la
nature et aux autres êtres vivants.
La gouvernance des communs deviendrait ainsi une «
délibération
éthique
» recherchant « l’équilibre des pouvoirs ». La démarche «
Better
regulation
» de la Commission européenne visant à mettre en œuvre et
évaluer demanière ouverte et transparente les politiques en prenant en
compte la participation des parties prenantes, s’inscrit dans ce cadre. Le
bien commun ainsi défini n’est pas l’intérêt général, mais plutôt l’harmo-
nie collective, permise par le seul fait de mettre l’épanouissement de la
personne et la communauté au cœur du processus. Comme le soulève
l’intervenante, «
le bien mis en commun n’est pas toujours la commu-
nauté de tous
». Il ressort alors de la responsabilité de l’action publique
de créer une «
capacité effective
» de délibération prenant en compte
les populations cibles.
Cette matinée nous amène à deux remarques conclusives. La première
est que le sujet des communs est un sujet prospectif dans la mesure
où il ouvre l’action publique à de nouvelles pratiques juridiques, écono-
miques, mais aussi politiques. La seconde est que l’action publique a un
rôle important à jouer, en restant à l’écoute de ces évolutions, mais aussi
en cherchant à prolonger l’ouverture et la transparence de ses pratiques
démocratiques. C’est bien le chemin entrepris par notre Département.
Carine Dartiguepeyrou
Secrétaire générale
des Entretiens Albert-Kahn