Tous les usages urbains n’étant pas pensables et concevables de
manière définitive, l’élasticité, en tant que capacité formelle permet une
modification de forme, d’échelle, de couleur, de texture. Elle peut suggérer
un changement d’usage et rendre l’objet tolérant aux mouvements
imprévus des urbains et de la ville.
L’accessibilité, c’est la possibilité de se servir facilement d’un objet, sans
complication ou détour technique.
La couleur est un appel sensoriel qui pousse, au-delà de la compréhen-
sion intellectuelle de la forme, à en faire l’expérience.
Morphing
ergonomique
La possibilité de concevoir une forme répondant à plusieurs usages
n’est pas mince. Elle est infinie. Prenons, par exemple, deux types de
postures corporelles existantes dans l’espace public. Une personne lit
son journal assise et adossée, et, plus loin, deux personnes, assises en
tailleur, partagent un pique-nique. Entre les deux, d’autres postures
peuvent exister. Imaginons donc, entre deux formes ergonomiques
dessinées autour de ces deux postures, une évolution de forme. On
obtiendrait sur la distance, un
morphing
entre une assise avec dossier
et une large plateforme. Devant un tel objet, le regard serait amené
à choisir quelle partie de la forme conviendrait le mieux à son usage.
L’usager interprétera et choisira la meilleure partie de la forme pour
répondre à son attente : s’asseoir, être assis, debout, poser un sac,
s’allonger sur un plan, quitte à ce que cela devienne le support d’autres
postures imprévues.
Pratiques alternatives
La valeur culturelle des objets se définit comme qualité pratique. Elle
s’ancre dans les phénomènes opérants tels que les pratiques et les
usages. L’objet est culturel parce que son utilité le détermine. Un banc
reste-t-il un banc si le récit de son utilisation devient celui-ci : s’asseoir
sur le dossier d’un banc pour dominer une vue, et, se couper momenta-
nément de la surface du sol, que l’on peut retrouver d’un bond pour
continuer son chemin ? Nous pourrions avec ce récit redéfinir les
contours d’un modèle d’assise, en élargissant le champ de son dossier,
en réévaluant sa hauteur, etc.
Le skate, le BMX, le golf urbain, l’escalade urbaine, la promenade
sur les toits, etc. sont autant d’alternatives à vivre la ville dont elles
modifient les formes, jusqu’aux bâtiments eux-mêmes. Il est intéressant
de voir comment certaines agences d’architecture en font leur moteur
conceptuel et programmatique pour incliner, lisser, courber les bâti-
ments et leurs surfaces : par exemple, le cheminement d’un parvis
jusqu’à une toiture conçue comme une seule et même surface courbe.
Il s’agit de saisir comment le corps, ses mouvements, ses postures,
contraint les objets urbains à se renouveler.
Connexion déconnexion
Le fait d’être connecté en permanence au réseau change la mobilité
urbaine. Le web mobile, accessible grâce aux ordinateurs portables
et aux smartphones, aux montres ou bracelets connectés, génère des
interruptions spontanées, courtes ou longues, du mouvement du corps
et des flux dans l’espace urbain.
Les ruptures individuelles, répétées, désynchronisées, juxtaposées les
unes aux autres laissent à penser que l’espace urbain se modifie ou du
moins accueille en temps réel des comportements et postures d’usages
nouveaux. Un porche d’immeuble devient un refuge provisoire et mute
en cabine téléphonique plus ou moins isolée des bruits, un conteneur
ou une corbeille se transforme en tablette ou repose-sac, le banc
public devient un bureau temporaire où l’on déploie son ordinateur, une
barrière devient l’assis-debout d’une conversation téléphonique qui
s’éternise, etc.
Si les circulations douces restructurent les villes, elles s’accompagnent
de besoins fragmentés, convoquant la nécessité de supports instantanés
à une rupture de flux, à un arrêt ou une reprise du mouvement.
Ralentissement
Les générations précédentes ont conçu les transports physiques pour
se déplacer. Les objets urbains ont suivi ce mouvement en se dessinant
comme des objets perçus derrière une vitre de train, de bus, de voiture,
en utilisant les lignes horizontales de la vitesse et l’expression méca-
nique de ces bolides.
Aujourd’hui, lemouvement de ralentissement et de localisation des corps
change l’approche. Les outils numériques nous permettent en partie
d’échapper aux transports, dispositifs chronophages, fussent-ils bien
conçus, confortables, ou fascinants. Nous préférons vivre une urbanité
douce, de proximité, plutôt qu’une urbanité de flux permanents.
Les objets urbains sont redessinés pour le piéton. Ils redeviennent tactiles.
L’appropriation lente et articulée par le corps redevient possible.
Une assise n’est plus un lieu d’attente ou de transition. Elle est
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