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Jacques Lévy, géographe et chercheur, affirme que «

l’espace public est

un environnement défini par la liberté de mouvement rendue possible

par la création d’un dispositif égalitaire où la parole et l’action de chacun

pèsent du même poids

»

5

. C’est un enjeu considérable, et très difficile à

atteindre. J’enprofitepour lui rendrehommage, parceque, des chercheurs

qui ont le souci de l’action, j’en ai connu un qui est disparu prématu-

rément, François Ascher, grand prix de l’urbanisme, et qui a écrit des

choses magnifiques, en particulier en faveur d’une ville dont « l’espace

public permet de faire ce qu’on n’a pas décidé de faire et de rencontrer

qui on n’a pas décidé de rencontrer », ce qui rentre en consonance avec

La Défense qui vise à être cela, un vrai lieu où l’on se croise sans avoir

prévu de le faire et où l’on fait des choses inattendues qui provoquent la

surprise, l’agrément, la rencontre et le frottement.

J’ai été très heureuse il y a quelques années, travaillant dans l’Arche de

La Défense et n’habitant pas loin de là, de voir les « Indignés » s’installer

à La Défense, le qualifiant ainsi d’espace public majeur. Ce n’est pas

par hasard que c’est sur la place Tahrir qu’il y a eu les manifestations

au Caire, sur la place Taksim à Istambul, etc. La place de la République,

très joliment reconfigurée, se confirme elle aussi comme un lieu public

majeur puisque c’est un lieu de manifestations.

Mon propos portera sur

les

leçons urbaines des villes internationales

que j’ai pu découvrir, incluant des villes françaises qui elles aussi

enseignent aux autres dans une Europe des villes. Ces leçons viennent

de rencontres, de jurys auxquels j’ai contribué, ainsi que d’« ateliers Pro-

jet urbain » que j’ai organisés en France et à l’étranger, accompagnés de

livres dans la collection Projets urbains.

Faire la ville par l’espace public

L’espace public est le fondement du projet urbain dont l’objectif est

de créer du lien entre les hommes, entre les fonctions et entre les

espaces. Barcelone a été la ville phare en la matière. Après la dictature,

avec peu de moyens, elle a investi dans l’espace public en attendant

d’avoir les JO. Il y avait une force d’engagement, une capacité de

décision très grandes. Cette incroyable vitalité de la post-dictature a

reconfiguré la ville centre et la périphérie avec un talent comparable,

par exemple le parc del Clot conçu par des architectes scénaristes qui

ont transformé une ancienne friche industrielle en véritables archéo-

logues, comme si on travaillait sur du patrimoine historique majeur. La

durabilité d’un espace, c’est quand vous y retournez vingt ans après

et qu’il prend toujours sens – ce qui est le cas. L’espace public, ce sont

aussi les infrastructures, comme à la Via Julia qui a intégré le métro et

régénéré un espace informe en apprivoisant la part de l’automobile.

Le périphérique a été dessiné par un architecte, et ses abords, le long

de la mer, la

Ronda

, a été faite par un des plus grands urbanistes euro-

péens, aujourd’hui décédé, Manuel de Solà Moralès. Cela se poursuit

avec des écritures très contemporaines.

Rapidement après, la métropole lyonnaise s’est recomposée par l’espace

public avec une écriture urbaine aussi élégante dans le centre que dans

la périphérie, notamment les espaces dits sensibles, mobilisant les

mêmes concepteurs et avec les mêmes entreprises que dans le centre.

Plus récemment, ce sont les berges du Rhône et les berges de la Saône

qui, dans leur aménagement en faveur d’usages multiples, intègrent

toutes les dimensions du développement durable et, en particulier,

l’inondabilité. L’inondabilité devient un sujet de projet et on fabrique

tout le long de la ville un espace de liens et d’usage.

Faisons un petit détour par Bilbao pour montrer que l’espace public,

c’est aussi lemétro. Par exemple, la façon dont Bilbao a « fabriqué » son

métro avec Norman Foster, y faisant rentrer la lumière et fabriquant des

entrées de métro tellement bien adoptées par les habitants de Bilbao

qu’ils les appellent les «

Fosteritos

» – petits Foster !

L’espace public est fabricant d’identité. Dans les années Bloomberg,

la

High Line

, voie ferroviaire surélevée, sauvée de la démolition par

les revendications associatives, a fait l’objet d’un partenariat avec la

ville, devenant un des hauts lieux de fréquentation des habitants et

des touristes. Mais New York, c’est la reconquête de l’espace public sur

les excès de la voiture, d’espaces aménagés souvent de manière très

simple avec quelques parasols et des chaises volantes, constituant ainsi

des espaces de vie. Il y a aussi des usages temporaires en fermant des

rues le dimanche. Mais ceci est généralement accompagné d’un plan de

transport, d’une mobilisation du vélo, etc.

Lisbonne aussi regagne son espace public progressivement. C’est

la ville la plus viaire d’Europe, sans doute. Dans son processus de

reconquête de la ville, elle a fabriqué des belvédères, retissé le lien avec

(5) Jacques Lévy,

Réinventer la France, Trente cartes pour une nouvelle géographie,

Fayard, 2013.