Les entretiens Albert-Kahn - cahier 40
15 14 1. Lamaîtrise personnelle La discipline de la maîtrise personnelle désigne le processus progressif d’apprentissage individuel tout au long de la vie. Ce processus est très fortement lié au développement de la vision que chaque personne se fait de son avenir, de ce qu’elle souhaite atteindre dans sa vie. C’est à partir de cette vision ou ambition personnelle que chaque personne travaille à l’amélioration de soi, développe son désir d’apprendre et son engagement à progresser. Aussi, pratiquer la discipline de la maîtrise personnelle présuppose de développer sa capacité à analyser avec lucidité sa réalité quotidienne et de clarifier en permanence ce qui est vraiment important pour soi (sa vision personnelle et son intention). Ces deux attitudes donnent lieu à une «tension créatrice», c’est-à-dire une persévérance à atteindre ses buts, née de notre volonté de voir notre réalité et notre vision se rejoindre. Dans ce cadre, l’acte d’apprendre ne consiste plus à simplement amasser des connaissances mais se fonde sur notre volonté de réduire cet écart entre la réalité et la vision, ce qui lui donne tout son sens et toute sa puissance. Pour progresser et atteindre les buts qu’elle s’est fixée, la personne va chercher à apprendre pour susciter etmaintenir des tensions créatrices (écart entre réalitéet vision) et pour développer sa capacitéàatteindredenouveaux objectifs. La vision personnelle vient du plus profond de nous-même. En général, nous avons tendance à nous concentrer sur lesmoyens plutôt que sur les résultats. La capacité à se concentrer sur sa vision d’un but à atteindre est la pierre angulaire de lamaîtrise personnelle. Pour Robert Fritz (consultant américain, auteur du livre The Path of Least Resistance (5) (que l’on pourrait traduire par Le chemin de la moindre résistance ), « l’important n’est pas la vision en tant que telle, mais ce qu’elle fait faire ». Les individus qui développent leurmaitrisepersonnelle s’appuient sur l’écart entre la vision et la réalité pour accroître leur énergie à faire bouger les choses. Au niveau de l’organisation, les collaborateurs qui ont un haut niveau de maîtrise personnelle sont des personnes qui ont un leadership basé sur une vision solide de ce qu’ils veulent atteindre. Ils portent un regard lucide sur la réalité, mais ne la rejettent pas. Au contraire, ils s’appuient sur ce qu’ils vivent au quotidien et les changements en cours sont autant d’opportunités pour mettre en œuvre leur vision. Leur confiance en eux est tempérée par une lucidité sur leurs limites personnelles ou leur zone d’incompétence, ils ne sont jamais «arrivés». Enfin, ils ont une soif d’apprendre parce qu’ils se sentent pleinement partie prenante d’un monde dont ils cherchent à affiner leur compréhension systémique. Développer la maîtrise personnelle de ses collaborateurs implique un état d’esprit et une posture particulière de la part du dirigeant qui se donne alors pour mission de montrer l’exemple en termes de comportement et de porter une attention particulière à l’installation d’un climat favorable au développement de chaque collaborateur. Ce climat, où la solidarité, la coopération, l’ouvertureet lenon-jugement sont demise, permet d’encourager chaque collaborateur à développer et exprimer sa vision personnelle (tout en lui laissant la liberté d’adhérer ou non à la démarche). 2. Lesmodèlesmentaux Les modèles mentaux sont les croyances, les préjugés et les histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes, les autres, les situations que nous vivons… Une fois nos croyances élaborées (à partir de notre culture, notre éducation, notre histoire, nos expériences), elles agissent comme un miroir déformant qui transforme notre vision de la réalité : les modèles mentaux déterminent ce que nous voyons. De fait, chacun de nous ne perçoit qu’une partie de la réalité, celle qui lui permet de confirmer ses croyances sur le monde. C’est un processus souterrain. Nous ne sommes pas conscients de ce chemin préférentiel que nous empruntons pour appréhender la réalité, et encoremoins de l’influencede cette visiondumonde sur nos comportements. La discipline qui consiste à travailler sur ses modèles mentaux vise à rendre visible ce processus, à détecter et faire émerger notre vision du monde. Ainsi qu’à la questionner et la tester par la confrontation et par l’expérimentation. Enprenant consciencedenosmodèlesmentaux, nous pouvons davantage les élargir à d’autres représentations de la réalité – par exemple, celles des autres – et faire ainsi preuve de plus d’ouverture et de créativité. Mieux comprendre l’impact des modèles mentaux sur nos vies et nos comportements nous permet de les revisiter et de les adapter plus facilement aux contextes dans lesquels nous vivons. C’est cette capacité qui nous rend plus agiles et plus inventifs car elle nous permet de sortir de nos habitudes et de nos conventions. L’observation de soi est une bonne pratique de la discipline des modèles mentaux, notamment pour distinguer nos théories affichées (ce que nous disons et prétendons), de nos théories appliquées (ce que nous faisons réellement), reconnaître «les sauts conceptuels» (remarquer comment nous passons de l’observation à la généralisation) avec l’échelle d’inférence. C’est un travail de réflexivité qui consiste à développer sa capacité à observer sa manière de penser. La maîtrise de cette discipline nécessite de la pratique et de la persévérance. Donald Schön, penseur et pédagogue qui a également travaillé pour le MIT avec Peter Senge, emploie le terme de «praticien réflexif» pour le titre d’un de ses ouvrages (6) . Cela résume bien la nécessité de pratiquer consciemment l’art de se regarder penser et agir. (5) Robert Fritz, Path of Least Resistance: Learning to Become the Creative Force in Your Own Life , Ballantine Books, 1989. (6) Donald Schön est l’auteur du livre The Reflective Practitioner : How Professionals Think In Action , Basic Books, 1984.
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