Les entretiens Albert-Kahn - cahier 40

21 20 mettre en œuvre l’intelligence collective du système autour de la vision partagée. Quel est notre situation actuelle ? Que souhaitons-nous obtenir ensemble ? Créer cepremier espacededialogue autour des fondamentauxde l’organisation crée des ouvertures sur toutes les autres disciplines. Au-delà de l’application stricto sensu de ces cinq disciplines, l’apprenance requiert un cadre propice à son développement au sein de l’organisation. Ce cadre repose sur le comportement des dirigeants et collaborateurs de l’organisation et suppose une bienveillance sans faille de la part de tous. Car sans bienveillance, nul droit à l’erreur et nulle stimulation pour progresser et apprendre. Mais il ne s’agit pas d’une bienveillance molle et non engagée. Au contraire, pour développer l’apprenance, il est nécessaire de l’accompagner d’un niveau d’exigence qui favorise le désir d’apprendre, tout en soutenant positivement l’effort. Cette posture d’exigence bienveillante est avant tout portée par le ou les dirigeants de l’organisation. Un dirigeant qui se met au niveau de ses équipes, qui s’implique au même titre qu’eux dans le développement d’actions au sein de l’organisation et qui, dans sa posture, porte l’exemplarité en matière de vision, de non-jugement, de droit à l’erreur et … de sérénité. Or aujourd’hui, ce que l’on observe dans les organisations, et qui nuit au développement des organisations apprenantes, c’est notamment ce temps court qui presse chacun à produire et à obtenir des résultats, au détriment du temps nécessaire pour apprendre et pour renforcer la cohésion d’équipe, ce qui crée un fort sentiment d’isolement parmi les collaborateurs, doublé d’une pression insoutenable qui les mène, pour les plus fragiles d’entre eux, au burn-out . C’est pour cela qu’il est essentiel pour les dirigeants de ralentir et de pratiquer, pour eux-mêmes et pour leurs collaborateurs, l’expériencedu temps long, celui qui permet de créer la relationet d’apprendrepar soi-mêmeet grâce aux échanges avec les autres. Souvent, on observe qu’au départ du dirigeant qui a porté la démarche, l’organisation apprenante peine à se maintenir. Cela nous amène à une deuxième condition de réussite, qui consiste à créer des rituels afin d’ancrer des pratiques qui deviennent des automatismes dans l’organisation quels que soient les dirigeants. Une façon de prendre soin des ressentis des collaborateurs ( check-in et check-out lors des réunions), de pratiquer le feed-back systématique ou encore de relever les apprentissages dans toutes les situations nouvelles. Et enfin, une troisième condition serait de modifier profondément la culture de l’organisation, en adaptant les entretiens annuels de façon à tenir compte des nouvelles compétences des collaborateurs, et de modifier également les modes de recrutement en y associant l’ensemble des collaborateurs en contact avec le nouvel embauché. C’est ainsi que peut-être lorsque le dirigeant d’une organisation apprenante serait amené à quitter l’entreprise, ses anciens collaborateurs pourraient participer au choix de son remplaçant en intégrant les critères de l’organisation apprenante. En conclusion : bénéfices et défis de l’organisation apprenante Les bénéfices d’un tel cheminement sont nombreux et évidents. Pratiquer les cinq disciplines dans une organisation permet le développement individuel et collectif. Le simple fait de créer des espaces de développement individuel et collectif pour les collaborateurs au sein de l’entreprise crée un potentiel important de fidélisation des talents. La capacité à travailler en équipe, couplée à la puissance de la vision partagée et de la pensée systémique et adossée au développement personnel de chacun notamment dans sa capacité à remettre en cause ses modèles mentaux et à promouvoir la diversité de points de vue, crée une agilité hors normes au service de l’innovation. La mise en œuvre de l’organisation apprenante nous demande de savoir répondre à plusieurs défis. Le premier défi, majeur, consiste à apprendre à ralentir, ou au moins à dés- accélérer . Pour mettre enœuvre la réflexivité, le dialogue et l’ouverture, pour observer le système dans sa globalité et créer les interactions nécessaires au développement des équipes, il faut du temps et c’est aujourd’hui une denrée particulièrement rare. Pourtant, il ne fait pas de doute que prendre ce temps permettra d’en gagner aux moments où il faudra faire la différence avec ses concurrents, gérer les crises et surmonter des obstacles. Une des pistes pour ralentir serait peut-être de répondre à un deuxième défi qui est de favoriser le savoir-être sur le savoir-faire. Aujourd’hui, notre société tout entière est plongée dans le faire, l’agir, aussi parce qu’il a été érigé comme modèle de reconnaissance. Nous récompensons ceuxqui font et qui font bien leur travail. Nous les reconnaissons sur l’atteinte d’objectifs chiffrés, privilégiant ainsi la quantité à la qualité. Peut-être serait-il temps de s’interroger sur l’importance de reconnaître et de valoriser les personnes pour ce qu’elles sont, et par là même, en en faisant moins, nous aurions trouvé les moyens de ralentir et de laisser de l’espace-temps pour que cette qualité d’être, tant individuelle que collective et organisationnelle, puisse émerger.

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