Cahier numéro 1 - page 11

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La spécificité de ce dernier c’est qu’il « laisse-être » ce qui est et
n’impose pas, de l’extérieur, une injonction morale précisant ce
qui « doit-être », ou ce que l’on aimerait qui soit. C’est bien ainsi
que l’on peut caractériser le pouvoir du désir : grâce à quoi quelque
chose a proprement pouvoir d’être. Il y a une chaîne de raisons entre
le pouvoir-être, le laisser-être, le faire-être
qui s’exprime aumieux dans
la constitution des communautés (tribus) postmodernes dont l’essence
est bien le désir, le partage d’un goût, le processus d’attraction, toutes
choses pouvant se résumer dans l’expression « d’affinités électives »
(Goethe). Là est, peut-être, le fondement de ce que l’on peut appeler
un
humanisme intégral
.
Ce qui déconcerte l’entendement rationaliste, c’est que la relation à
l’autre repose sur le « laisser-être » plutôt que sur le fait d’agir sur le
monde naturel ou le monde social. Or c’est bien une telle désinvolture
qui est, à bien des égards et de multiples manières, ce qui caractérise
l’atmosphèrementale de l’époque. La désaffection vis-à-vis du politique,
la lassitude concernant les diverses formes d’engagement, sans oublier
le climat hédoniste contaminant la plupart des phénomènes sociaux,
toutes choses accentuant la saturation d’une énergie finalisée et
soulignant la reviviscence d’une énergie à connotation passionnelle.
En bref, l’énergie ne s’accumule pas, elle se dépense. Précisons, cepen-
dant, que la libido sous-entendant cette énergie « présentéiste » ne
saurait se réduire à une sexualité purement génitale. Il s’agit d’une
énergie psychique que l’on va retrouver au fondement de la culture
en général et ce, dans tous les aspects de cette culture : art, vie
quotidienne, économie, politique, etc. C’est cette libido en son sens
général qui est le substrat de l’ordre symbolique, autre manière de dire
le vivre-ensemble. Ce que je nomme ici «
ordo amoris
».
Cette énergie psychique est constituée par toutes ces habitudes, ces
tabous, divers atavismes et autres « plis » (les « us et coutumes »)
dans lesquels se nichaient le plaisir et le désir d’être ensemble. Un
être enraciné dans le sentiment, faisant de l’état amoureux non plus
un repliement sur un soi individuel bien rachitique, pas plus sur un
« duo » (celui du couple) tout à fait économique, mais bien comme un
état de diffraction en perpétuel devenir. Et constituant, de ce fait, cette
«
affectio societatis
», fondement mystique de toute réalité politique,
dont on recommence à mesurer les effets.
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