Entretien EAK - Cahier 38

Dès septembre 1789, on voit se multiplier les petits pamphlets disant : « nous sommes menacés par la naissance d’une nouvelle aristocratie de la représentation . » Donc, c’est dès le tout début, d’où l’interdiction, par exemple, de se représenter. Dansledébataméricainentrelesfédéralistesetlesanti-fédéralistes,ils’agit également de la questionde la souverainetéet de la représentation. L’histoirede ladémocratie, il faut toujours le répéter, n’apas étéuneespèce d’histoire glorieuse, une histoire sainte, qui va tout d’un coup de la rupture à l’établissement et qui, ensuite, aurait les problèmes d’aujourd’hui. Non, l’histoire de la démocratie, c’est celle de ses avancées et de ses perversions. C’est celledesesprogrèset celledesespathologies. Donc, cemoment, si on dit qu’il y a un moment populiste aujourd’hui, ce mouvement populiste doit être resitué dans cette longue histoire de la démocratie, de ses tentations et de ses perversions. En n’oubliant pas que, si c’est l’Europe qui était le continent qui a fait vivre l’invention démocratique, l’Europe était aussi le continent d’expérimentation des totalitarismes. Les deux sont allés de pair et, si l’histoire ne se répète jamais, la question de la démocratie est celle, justement, d’un débat vivant et de tentatives qui parfois découlent de tentations perverses. Quel était lemoyen essentiel pour répondre à ce qui était perçu comme des inaccomplissementsdémocratiques ?C’était deperfectionner le rendement démocratiquede l’élection. Comment ?D’abordendisant que, pour faireque ladémocratiereprésentativesoitunevraiedémocratie,ilfautlimiterladurée desmandats.Limiterladurée,parexemplelorslaconstitutionde1791,cela aétéd’instituerunmandatparlementaired’unan.AudébutdelaRévolution, leprésidentdel’assembléechangeaittouteslessemaines,pouréviterqu’ily ait une appropriation, une privatisation du pouvoir. Aux États-Unis, le débat sur la durée des mandats représentatifs a eu lieu à ce moment-là et il a été proposéaussiquelaChambredesreprésentantssoitéluetouslesans.Etau dernier moment, on a choisi deux ans. Et c’est toujours le cas : aujourd’hui, à la Chambre des représentants, les élections sont des élections pour deux ans. Ilyaeuaussil’inventiondelaproportionnelle,quiétaitendébatdèsledébut des années 1820. En rappelant que la proportionnelle a d’abord voulu dire ceci : il faut que chaque voix pèse d’un même poids. Le suffrage universel est-il simplement le fait que chacun puisse mettre un bulletin dans l’urne ? Non, si le suffrage universel est l’égalité des voix, cela signifie que chaque voix a un poids égal. Or, les votes qui ont été dirigés vers celui qui a perdu l’élection sont des voix qui ne pèsent pas. Donc il y a eu toute une réflexion à ce moment-là sur la manière de faire en sorte que chaque voix puisse peser. L’idéal, pour que chaque voix pèse, c’est que chaque élu soit élu à l’unanimité. Pour cela, il faut diviser la sociétéen petitsblocshomogènes,enpetitsblocsd’unanimité.Ilyaeudonctouteune réflexiondès les années1820. 10 11 La réflexion sur la proportionnelleest ensuiteune réflexion sociologique : comment faire en sorte que tous les groupes soient représentés ? Paradoxalement, ceux qui ont introduit l’idée sociologique de représentation proportionnelle sont les Anglais. Pourquoi l’ont-ils introduite ? Parce qu’ils l’ont introduite enmême temps qu’une extension du suffrage : l’extension du suffrage populaire allait poser une question essentielle, qui était qu’on risquait d’exclure les élites : si le peuple a le droit de vote, il ne votera pas pour les élites. Donc il faut de la représentationproportionnellepour assurer que les élites auront toujours uneplaceenpolitique. C’était lagrande théoriede JohnStuartMill dans les années 1860. C’est en effet en 1866 qu’a eu lieu la « grande marche en avant » vers le suffrage universel en Grande-Bretagne. Il y avait aussi l’idée que, souvent, les représentants n’étaient pas fidèles à leur mandat, donc qu’il fallait solenniser et durcir la notion de mandat. En France, au début de la Troisième République, il y a eu des débats interminables sur le mandat parlementaire, certains proposant même de faire en sorte que, si un député n’était pas fidèle à sonmandat, on puisse le traduire en justice. C’était impossible puisqu’il n’y a pas d’assemblée délibérante possible (c’est ce qu’avaient dit les révolutionnaires français) si on reste fixé sur des positions déterminées à l’avance. Mais on a quand même inventé ce qui s’appelle le « Barodet », c’est-à-dire un recueil solennel des promesses électorales qui sont faites devant toute la société. Aux États-Unis, cette discussion sur la représentation a été menée au moment de la Révolution américaine et même avant, au moment où on a rédigé les constitutions des différents États. Dès 1776, il y a eu les constitutions des treize États américains, avant qu’il y ait la constitution de 1787. Toute une partie de l’expérimentation démocratique aux États-Unis a été faite lors de la rédaction des constitutions des États en 1776, notamment des constitutions très intéressantes du Vermont, du Massachusetts, de la Pennsylvanie, avec des innovations qui sont méconnues aujourd’hui, mais très, très intéressantes. Ensuite, aux États- Unis, à la fin du XIX e siècle, il y a eu un grand mouvement de critique et de remise en cause des partis politiques qui se partageaient le pouvoir, avec une alternance qui avait étémise àmal après la guerre de Sécession, parce qu’après la guerre de Sécession, les démocrates gagnaient toutes les élections. Il n’y avait pas un seul élu avant 1896 qui soit un élu républicain. Pendant 35 ans, c’est vraiment le pouvoir démocrate. A été mis en place, après, tout unmouvement de revendications dans les États de l’Ouest… Le droit de vote n’est pas fédéral, il appartient aux États, et même aujourd’hui, le droit de vote n’est pas le même dans les différents États. Il est interdit de faire de la ségrégation, par exemple, mais le droit de vote n’est pas le même : les conditions d’inscription, les conditions de

RkJQdWJsaXNoZXIy NzI4OTI4