Entretien EAK - Cahier 38

8 9 La démocratie a-t-elle unavenir ? Pierre Rosanvallon Le thème « Où va la démocratie ?» n’est pas une question nouvelle puisque celle-ci a déjà été formulée dès les balbutiements de la démocratie. Ce qui est très frappant pour l’historien, c’est de voir que, dès le moment des révolutions fondatrices, les révolutions fondatrices anglaise, américaine ou française, la question de la démocratie est posée – même si le mot « démocratie » n’est employé que tardivement. Le mot démocratie n’a été employé dans un sens politique qu’à partir de 1848. Si l’on prend un dictionnaire du début de la Révolution française, à « démocratie », il est inscrit la définition suivante : « Mot vieilli. N’est plus utilisé que pour se référer à quelques expériences de l’Antiquité et à de petites réalisations suisses . » Pourquoi ? Parce que, si démocratie veut dire « le peuple assemblé décide », si dans les cantons suisses, c’était dans le pré communal que l’on se réunissait, alors dans un pays de 25 millions d’habitants, la démocratie ne pouvait pas être « le peuple rassemblé ». Il ne faut pas oublier non plus qu’au moment des révolutions américaine et française, la France était dix fois plus peuplée que les États-Unis. La France au moment de la Révolution compte 25 millions d’habitants et les États-Unis 2,5 millions. Les États-Unis sont un pays qui va apparaître commeunpays d’expérimentation, mais commeunpetit pays. Alors que la France…La Chinen’avait que80millions d’habitants à l’époque. C’est pour indiquer qu’en France, très grand pays de 25 millions d’habitants, parler de la démocratie comme étant « le peuple assemblé»n’avait pas de sens. Le mot « démocratie » sera introduit pour définir la société de l’égalité des droits, dans un sens tocquevillien. Avant, pour qualifier le suffrage universel, ce n’est pas le terme « démocratie » que l’on employait, c’est le terme de « république ». On voit très souvent, par exemple, dans les années 1830, au début de la monarchie de Juillet, un certain nombre d’essayistes dire : « nous avons la démocratie en France, mais nous n’avons pas encore la république », dans le sens de : « nous avons l’égalité de droit, puisque nous sommes dans des régimes libéraux, mais nous n’avons pas encore la république puisque nous n’avons pas encore le suffrage universel . » Ce qui est frappant, c’est que la démocratie, si jemets à part cette histoire du mot, si on se projette en arrière, a toujours été une solution et un problème. Parce que comment définir la souveraineté ? Il y a bien des façons de la définir. Comment organiser la représentation ? Comment faire en sorte que le peuple soit écouté ? Tout cela a été en question. Ce qui fait que l’on peut dire, d’une certaine manière, que depuis ses débuts, la démocratie a toujours été en crise. Ladémocratiea toujours été en discussion. Il est très important de rappeler cela, et que le sentiment de mal-représentationd’aujourd’hui,lesentimentdenepasêtrereprésenté,on le voit présent en France et décliné sur tous les tons dès septembre 1789.

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