Cahier numéro 1 - page 10

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C’est cela « l’altruisme » en son sens épistémologique. L’émergence de
la subjectivité se fait à partir des intimations objectives : être d’un lieu,
d’une tribu, d’une religion. Ainsi l’on est d’un corps : individuel et social.
C’est dire l’importance que l’on peut accorder aux sens et au sensible.
Les sens comme « forme de raison », n’est-ce point rendre attentif à
la conjonction du corps et de l’esprit ? À ce que j’appelle l
’entièreté
de
l’être, dont la « raison sensible » est un bon levier méthodologique pour
une approche pertinente de cette entièreté ?
Ce qui est certain, c’est que ce « pouvoir cognitif » du sensible est au
cœur même d’un paradigme postmoderne retrouvant, ainsi, les intui-
tions et les pratiques prémodernes. L’entièreté de l’homme médiéval,
celui des sociétés traditionnelles, trouve écho dans le « holisme » des
diverses tribus (sexuelles, musicales, sportives, religieuses)
constituant
la mosaïque des sociétés postmodernes
. La séparation n’est plus de
mise, mais bien la conjonction, l’interaction entre tous les éléments que
la pensée moderne avait, à loisir, dichotomisés.
La nature s’allie à la culture, le corps se spiritualise, le matérialisme
devient mystique, les archaïsmes se technologisent, le travail devient
prospectif en étant créatif, la progressivité intègre du traditionnel,
l’éthique sociale s’esthétise et tout à l’avenant. Ces oxymores traduisant,
de fait, l’importance que joue la libido dans la structuration sociale. À
l’image de la
solidarité organique
propre aux sociétés traditionnelles,
l’esprit du temps postmoderne redonne aux divers affects une place
de premier plan dans l’ordonnancement du tout social.
Ce que fait bien ressortir l’émotionnel sociétal, c’est que derrière
la raison étroite existe une force instinctuelle :
la puissance de la
vie
. Il s’agit de toutes ces causes non rationnelles, qu’elles soient
spirituelles, sociales, ethniques, éducationnelles, qui arrivent à leurs
fins par des opérations psychiques autres que le raisonnement. Ce
sont là les fondements des croyances, des préjugés dont on sait
l’importance dans la vie politique, sociale ou économique. Gardons
en mémoire l’expression employée :
causes « non rationnelles » et
non irrationnelles
. En effet, quoique ne dépendant pas d’une raison
instrumentale, c’est-à-dire orientée vers un but précis (et lointain),
ces causes n’en ont pas moins une raison interne, exprimant ce qui est
vécu par le groupe qui en est le porteur. On peut parler, à ce propos, d’un
«
ratio-vitalisme
» (Ortega y Gasset).
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