Cahier numéro 1 - page 21

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pas l’aider. Ce point de vue n’est heureusement pas partagé par tous
mais il ne peut être réfuté qu’au terme d’une réflexion sur les notions
de liberté et de responsabilité.
Qu’est-ce qu’un pauvre ? Beaucoup d’économistes font appel à des
définitions chiffrées. Dans les pays en développement, le pauvre est
celui qui vit au-dessous d’un seuil fixé, en 2008, par les Nations Unies
à 1,25 dollar par individu et par jour. Pour les pays riches, on utilise des
seuils ou des pourcentages : en France, sont pauvres tous ceux dont
les revenus sont inférieurs à 50%, ou pour l’extrême pauvreté, à 60% du
revenu national médian. Dans une tout autre perspective, on peut, avec
Georg Simmel, tenir pour pauvre celui qui a besoin d’être assisté
(1)
. La
pauvreté devient alors fonction du rapport qui s’établit entre le pauvre
et moi. Ces définitions renvoient à des points de vue distincts, qui
peuvent se compléter plutôt que mutuellement s’exclure. Privilégier
l’une ou l’autre n’est pas sans conséquence. Si le pauvre est celui qui
gagne moins de 1,25 dollar par jour, je peux prétendre n’avoir aucune
obligation envers lui, et même le tenir pour responsable de son état.
Si le pauvre est défini par son besoin d’assistance, la question du lien
entre lui et moi s’impose d’emblée, et, avec elle, celle de la liberté de
chacune des parties, le pauvre et le non-pauvre.
Une contribution essentielle d’Amartya Sen a été de démontrer que
la pauvreté constitue une perte de liberté(s). Amartya Sen définit les
libertés individuelles (ou capabilités) comme désignant les libertés dont
l’individu jouit effectivement dans son existence
(2)
. Qu’est-ce que cela
veut dire d’être libre par principe et de mourir de faim par manque de
ressources ? La liberté est certes un principe universel auquel chacun
souscrit. Mais il convient aussi d’en apprécier l’expression dans un
contexte donné. La notion de « liberté individuelle » est le versant
contextuel de l’idée universelle de « liberté ». Ici encore, il ne fait pas
sens de les opposer. Au lieu de s’exclure mutuellement, les deux idées
ont vocation à se compléter, à coexister, à être toutes deux prises en
compte.
(1) Simmel G.,
Les Pauvres
(1908), traduction française avec introduction de
Serge Paugham et Franz Schulteis, Paris, PUF, 1998.
(2) Sen A.,
Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté
,
Paris, Odile Jacob, 2000.
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