Cahier numéro 4 - page 22-23

- Mademoiselle, surtout tenez bien la corde, puis balancez-
vous vers la gauche pour attraper l’escalier, dit le voisin.
Alors la jeune femme s’essaye, doucement, puis réussit…
Où l’on voit que la sortie de la précarité exige des pédagogies basées
sur l’addition et non sur la substitution : faire en plus de ce qui est fait
d’habitude, mais pas à la place de ce qui est fait d’habitude.
Aujourd’hui les limites de la logique de sécurité
Les limites physiques de nos ressources, et de la capacité de la planète à
supporter nos excès nous imposent un nouveau type de raisonnement
basé sur le « faire mieux sans faire plus », et même souvent « faire
mieux avec moins ». Il est donc impératif de découpler le « plus » et le
« mieux ». C’est la grande affaire du XXI
e
siècle. Nos économistes n’ont,
pour la plupart, pas encore intégré cet impératif et se battent sur des
pourcentages et des incitations pour faire « repartir la croissance ».
Cela dénote bien la confusion dans leur esprit. La situation exigerait
la croissance pour provoquer une amélioration. Il s’agit là d’une vision
du monde héritée du XIX
e
siècle, et érigée en loi universelle par les
Trente Glorieuses. Elle fait bien sûr l’impasse sur les multiples travaux
qui prouvaient que cette croissance se faisait au détriment du reste du
monde : pillage systématique des matières premières et notamment
de l’énergie. Il a d’ailleurs suffi que le prix de l’énergie augmente, en
1973, pour que le chômage s’installe durablement dans les pays indus-
trialisés. Aujourd’hui les pays émergents sont en mesure de récupérer
le contrôle des matières premières, alors les vieux pays industrialisés
sont en grande difficulté. La richesse n’est pas seulement produite,
elle est aussi concentrée en certains lieux : l’Europe et les colonies de
peuplement de l’Angleterre entre le début du XIX
e
siècle et la fin du XX
e
,
les pays émergents aujourd’hui. D’ailleurs s’il faut une preuve de plus de
ce phénomène de concentration, il suffit de lire la presse : le nombre de
milliardaires augmente au fur et àmesure que la précarité et le chômage
augmentent dans les vieux pays industrialisés.
Nos enfants se trouvent donc contraints d’inventer un modèle écono-
mique nouveau basé sur une idée simple : il faut garder le contrôle de
l’initiative, ce qui suppose un degré de sécurité suffisant, et diminuer
toutes les consommations, notamment d’énergies fossiles, pour que
notre planète reste habitable. Il faut fairemieux en faisant moins, il faut
découpler le « plus » et le « mieux ». La génération des trentenaires
d’aujourd’hui, la fameuse génération « Y », est en pleine recherche,
autant individuelle que collective, et les pistes sont nombreuses.
L’une d’entre elles fait déjà la preuve de sa pertinence : le choix. Choisir
un mode de vie sobre plutôt qu’un niveau de vie élevé permet de garder
le contrôle des incertitudes, et donc la capacité à prendre des initiatives,
etdeconciliercelaavecunemoindreconsommation,doncunepréservation
de la planète. Si cette sobriété est imposée par l’économique, alors elle
ne devient que de l’austérité, elle est vécue comme une contrainte, et
l’initiative devenant risquée, la société s’atrophie et adopte une posture
générale de défense : elle se « tiers-mondise »…
Un rapport à l’autorité spécifique : affirmée
ou négociée ?
Cet outil de lecture, précarité/sécurité, nous renseigne de façon utile sur
la question, aujourd’hui centrale, du rapport à l’autorité. De plus en plus
fréquemment les comportements des hommes de cemonde interrogent
le rapport à l’autorité : elle semble plus souvent bafouée, et parfois niée,
dans son principemême. La revendication de liberté individuelle prend le
pas sur toute autre considération. Ce peut être un lointain effet du mo-
dèle américain - la liberté avant tout… - mais ce peut être simplement le
résultatfinalduprincipelongtempsaffirmé:«Tuferasmieuxquetonpère.»
En effet, dans un contexte précaire, faire comme son père, induit un sys-
tème d’obéissance implicite à ceux qui nous ont précédés. Il s’agit d’un
principe d’autorité affirmé, qui ne souffre aucune discussion. Ce principe
prévaut encore dans de nombreux contextes, proches ou lointains : le
village burkinabe comme la campagne française des années cinquante,
lorsqu’aucun enfant n’aurait pris le risque de désobéir à ses parents.
Par contre, dans un contexte de sécurité, le principe – « Tu feras mieux
que ton père. » – induit de fait une inversion du modèle. Si chacun est
appelé à faire mieux que son père, alors le père a fait moins bien que le
fils… Quelle est donc la légitimité de son autorité ?
Exceptionnellement ce consultant rentre à la maison très
tôt, vers 19h15… « Ça tombe bien que tu rentres tôt, il
faudrait que tu ailles sermonner ton fils qui vient d’avoir
une note épouvantable au lycée, lui dit son épouse. Il serait
temps de le reprendre en main ! »
Bombant le torse, le père de famille se dirige d’un pas assuré
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