l’encontre des professionnels, souvent très dévoués : « Ici on ne fait rien
pour nous ». Car c’est vrai, dans cette vision du monde binaire, si on ne
fait pas « tout », alors on ne fait « rien ». Il s’agit là d’un facteur redou-
table de tensions sociales.
Sécurité et niveau de vie
Dans un contexte très sûr, où l’initiative est considérée comme une
opportunité, l’objectif est simple : le pouvoir d’achat, le niveau de vie.
Un but simple, peut-être trop simple : que peut-on acheter avec une
heure de travail ? L’objectif devient alors quantifiable, et les hommes
ne semblent plus accorder d’importance qu’à ce qui est quantifiable.
« Ce qui compte, c’est le chiffre en bas à droite », entend-on dans les
business school
s. Tout doit être quantifié, et seules les notions quan-
tifiées sont prises en compte. Cette orientation est évidemment à
l’origine des désordres considérables qui affectent aujourd’hui notre
environnement.
Cette disposition qui caractérise le monde de la sécurité est sans doute
un peu plus ancienne que nous ne pouvons l’imaginer, en tout cas dans
l’œil de celui qui regarde depuis l’extérieur. Ainsi, le voyageur européen
peut s’entendre appeler « Otangani » par les enfants dans les rues de
Port-Gentil au Gabon. Pour eux cela signifie le Blanc. Pour l’historien, ce
mot raconte une autre histoire. Quand les Portugais débarquent au cap
Lopez, vers la fin du XV
e
siècle, ils se présentent :
- Nous sommes quatre-vingt-neuf marins, sur trois bateaux,
nous avons pris la mer il y a cent vingt jours. Nous avons
besoin d’eau douce, c’est combien ? Nous avons besoin
de fruits et de légumes frais, c’est combien ? Nous avons
besoin de viande fraîche, c’est combien ? Nous vous ache-
tons des défenses d’éléphant, c’est combien ?
C’est combien, c’est combien ? Les locaux les ont appelés « ceux qui
comptent tout le temps » : Otangani.
L’ensemble de cette approche constitue une sorte de première grille
de lecture, une paire de jumelles que l’on peut utiliser pour regarder le
monde. Ce n’est pas une construction objective, ce n’est pas une vérité,
c’est une façon de voir qui, je crois, peut aider beaucoup d’entre nous.
À partir de ce point il est possible de comprendre les échelles de valeur
des hommes, ce qui est important et ce qui est secondaire. Il faut avoir
cet élément pour dialoguer plus efficacement entre nous. La valeur
principale est le moyen qu’un groupe prend pour atteindre son objectif.
Les autres valeurs seront, par définition, secondaires. Or dans notre
cas, les objectifs des groupes en précarité ou en sécurité ne sont pas
identiques, la survie d’un côté, le niveau de vie de l’autre. Il est donc
probable que les échelles de valeurs diffèrent sensiblement.
Une première conséquence : des rapports
homme/femme variables soumis au contexte
plus qu’à l’idéologie
Parmi les grandes questions qui structurent tous les débats sur la
diversité des cultures, et, peut-être encore plus les débats sur l’intercul-
turalité, la question des rapports homme/femme figure en bonne place.
Dans un contexte précaire, l’objectif des personnes et des groupes est la
survie. Or, à long terme, la seule façon pour un groupe de survivre, c’est
la reproduction. Donc, et c’est une première hypothèse, plus le senti-
ment de précarité est fort, plus l’impératif de reproduction s’impose, plus
le taux de natalité augmente. Plus le sentiment de sécurité est fort, plus
le taux de natalité baisse. En France, pays réputé pour sa consommation
de psychotropes et son pessimisme, le taux de natalité remonte. Faut-il
s’en réjouir ?
Mais pour se reproduire, de quoi a-t-on besoin ? Surtout d’un homme et
d’une femme !
La reproduction humaine nécessite un homme et une femme, sauf que
l’onn’a quasiment jamaismanquéd’hommes pour assurer la reproduction.
Il semblerait que dans ce domaine les hommes fassent preuve d’un
grand dévouement. Quand bien même ils seraient très peu nombreux
au milieu d’un effectif féminin important, ils seraient prêts à donner
de leur personne le plus fréquemment possible. Cette disposition mas-
culine s’est traduite par une certitude à la fois sociale et biologique :
la survie d’un groupe ne dépend que du nombre de femmes et pas du
nombre d’hommes. Cette distinction des rôles spécifiques des hommes
et des femmes dans la survie du groupe est alors inscrite dans les dif-
férences statutaires. Ainsi plus le sentiment de précarité augmente,
plus les statuts homme/femme divergent. Il ne semble pas exister à la
surface de la terre de groupes en précarité faisant exactement lemême
statut aux hommes et aux femmes. Mais de la différence statutaire à
l’infériorisation des femmes, il y a un pas… souvent franchi, souvent
involontairement…
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