28
Dans un contexte où la sécurité n’est pas remise en cause, l’impératif de
survie est moins pressant, l’objectif en termes de niveau de vie, pouvoir
d’achat dans la novlangue actuelle, ne repose en aucun cas sur une
spécificité liée au genre. Alors, peu à peu, les groupes réclament et ob-
tiennent une convergence statutaire entre les hommes et les femmes.
Ainsi en France, depuis plusieurs années, un certain nombre de disposi-
tions légales et réglementaires ont été prises pour assurer une égalité
de traitement entre hommes et femmes. La notion de parité est souvent
invoquée. C’est la marque d’un contexte qui reste dominé par le senti-
ment de sécurité croissant. Évidemment, si l’on change d’échelle, et que
l’on descend au niveau de groupes sociaux spécifiques, en précarité, les
discours sur la parité homme/femme sont reçus avec défiance…
Ainsi donc, le contexte précaire fait diverger les statuts de genre, les
contextes sûrs ont tendance à faire converger ces mêmes statuts. D’ail-
leurs, sur un bateau qui fait naufrage, le réflexe collectif exprime bien
ce dispositif de survie anthropologique : « les femmes et les enfants
d’abord ! ». Dans ce cadre, celui qui réclame que les chaloupes de sauve-
tage soient remplies sur le même principe que la confection d’une liste
électorale – un homme, une femme – peut être perçu comme menaçant
la survie du groupe… Les instrumentalisations idéologiques et politi-
ciennes de ces mécanismes sont nombreuses.
La naissance du patriarcat
Il semble donc que le sentiment de précarité fasse diverger les statuts
homme/femme. Dans ce cadre, l’humanité adopte une posture courante :
n’envoyer que les hommes se faire tuer à la guerre. Contrairement à une
opinion répandue, il ne s’agit probablement pas d’une raison liée à la
force musculaire : dans de très nombreux contextes à travers le monde,
ce sont les femmes qui sont chargées des travaux de force… Seuls les
hommes sont envoyés à la guerre car leur nombre n’a pas d’importance
pour la survie du groupe. Il suffit qu’il en rentre un, vivant… et entier !
D’ailleurs celui-ci, devant l’ampleur de la tâche de remplacement qu’il
s’agit d’opérer, trouvera probablement que la guerre n’a pas que des
inconvénients, à condition de rentrer vivant... et entier. Le militaire
devient alors surtout masculin.
Un jour, dans la profondeur du temps, les hommes se sont tournés
vers leurs femmes, pour leur tenir en substance ce propos : « Puisque
c’est nous qui allons nous faire tuer à la guerre, si vous n’y voyez pas
d’inconvénients, dorénavant c’est nous qui déciderons où et quand nous
29
irons nous faire tuer à la guerre ». L’histoire semble indiquer que ce
jour-là les femmes – si leur avis fut requis… – ont répondu : « Si ça vous
amuse… ». Et le pouvoir politique échoit alors aux hommes, les sociétés
deviennent presque toutes patriarcales… Il n’est pas sûr que le désir
chez les hommes d’opprimer les femmes soit nécessaire pour obtenir
une quasi-généralisation du patriarcat.
Du statut différent au statut inférieur des
femmes
Il s’agit peut-être de l’enclenchement d’une mécanique qui conduit à
l’infériorisation du statut des femmes. En effet, lemilitaire et le politique
étant ainsi réservés aux hommes, dans ces lieux-là les hommes vivent
entre eux, sans croiser de femmes. Ce contexte va favoriser la frustra-
tion des hommes, et donc leur agressivité. Cette agressivité va leur faire
percevoir leurs femmes, épouses ou filles, en danger. Phénomène clas-
sique de projection et de généralisation de son propre ressenti… Alors
ils éprouvent le besoin de « protéger leurs femmes » en les écartant
des endroits où elles risquent de croiser des hommes ; ce faisant, l’aire
sociologique strictement masculine augmente, donc la frustration
des hommes augmente et leur agressivité aussi, dont il faudra alors
protéger les femmes… un peu plus. Au fil des siècles, de protection en
frustration, et de frustration en protection, le statut des femmes subit
cette évolution. Certains groupes iront jusqu’au bout de la logique, dans
unmécanisme qui rappelle l’effet Larsen, et le remède aggravant lemal,
certaines femmes seront totalement à l’abri des hommes, y compris de
leur simple regard, et dans la rue on croise des hommes frustrés, très
agressifs, bardés de kalachnikov, que l’on appelle des talibans. D’autres
groupes, heureusement, garderont la maîtrise de cette évolution : si le
statut des femmes est différent du statut des hommes, il n’est pas infé-
rieur… (Notons que la langue française incite à confondre « différence »
et « inégalité »). La zone de l’Afrique centrale, à rebours de l’Afrique du
Nord, donne une assez bonne illustration de ce choix.
Le jeune volontaire se dirige vers la case de son compagnon
de marche, Owono, un agriculteur. Dans cette région, au
nord du Gabon, il fait très chaud, et après trois heures de
travail dans le champ de ce paysan, une bonne bière sera la
bienvenue. Les deux hommes pénètrent dans la modeste
case rectangulaire, en terre séchée et lattis de tiges de bam-
bou raphia, comme toutes les constructions de la région.
Une table, deux bancs simples, deux bières… un moment