Cahier numéro 4 - page 34-35

très différencié, vous avez deux façons de l’aborder. La première, genre
café du commerce : « Dites-moi monsieur, pourquoi enfermez-vous vos
femmes ? » La réaction sera brutale, l’homme se sentant agressé, et
la conversation sera difficile. Maintenant que nous connaissons une
histoire plausible de la différence des statuts de genre, il est possible de
poser la question différemment : « Dites monsieur, pourquoi protégez-
vous vos femmes à ce point-là ? ». Ainsi interpellé l’homme donne ses
raisons, vous donnez les vôtres, vous confrontez vos deux raisons, vous
dialoguez.
La grille de lecture que je vous propose n’a pas d’autre légitimité que de
vous donner les moyens de dialoguer en vous appuyant sur les diffé-
rences culturelles. Les différences culturelles ne sont pas des obstacles
au dialogue, ce sont des outils de dialogue.
Évidemment aujourd’hui si nous en restons à une lecture purement
d’actualité, l’état des pays musulmans peut continuer à entretenir la
confusion entre « effet contextuel » et « effet religieux », mais si on
écoute plus précisément les dignitaires de cette confession, que ce
soit l’imam de Drancy, celui de la grande mosquée de Paris, on voit bien
qu’ils portent ce message : ne confondons pas l’influence du contexte
et l’influence religieuse. Il a fallu attendre Spinoza au XVII
e
siècle pour
appréhender clairement cette distinction dans le monde chrétien ;
l’islam est une religion plus jeune que cela…
Question : Le protestantisme a su interroger la religion
chrétienne pour la faire évoluer. C’est la religion qui a fait
évoluer le contexte ou l’inverse ?
Réponse : Infini débat entre la poule et l’œuf. Pour faire
très vite, rappelons simplement qu’il y a derrière cela, sans
doute le rôle important du développement de la pensée
analytique, celle qui permet de penser un avenir différent
du passé, avec les caractèresmobiles, l’imprimerie de Guten-
berg. Et il est possible de faire un enchaînement Gutenberg
– Luther – révolution agro-industrielle et naissance du sen-
timent de sécurité. C’est par l’augmentation de la capacité
analytique d’un peuple que le message de Luther devient
audible. En termes clairs, plus le nombre de ceux qui savent
lire et écrire augmente, plus la capacité à inventer unmonde
nouveau croît.
Mais cela change avec le temps.
Bien sûr, les hommes changent, toujours et partout. Ainsi,
les plus âgés d’entre nous se souviennent qu’à la fin des
années cinquante, nos instituteurs collectaient les feuilles
d’aluminium, destinées au recyclage, et cela permettait de
« venir en aide aux enfants du continent de la famine ».
Cela désignait, à l’époque, la Chine… pays qui, aujourd’hui,
est en passe de devenir la première puissance économique
dumonde. Cela montre bien que les hommes bougent entre
la précarité et la sécurité, dans tous les sens. L’outil que
j’ai élaboré permet de visualiser ces changements, qui se
manifestent bien sûr au niveau comportemental, sans que
la nationalité, la religion ou la couleur de peau n’en soient
affectées !
Et chaque jour nous pouvons voir des personnes, et notam-
ment des jeunes filles, changer de contexte et donc de
comportement. Elles passent la nuit chez elles, dans une
banlieue difficile – n’oubliez pas que « banlieue » signifie
« lieu de bannissement » – et que sous la pression sociale
liée à la précarité, elles subissent le regard des hommes et
adoptent alors une tenue visant à les « protéger », donc à
les « enfermer » : voile, survêtement informe, dissimulant
toute trace de féminité. Dans la journée, ou le week-end,
elles subissent les injonctions de leurs hormones qui leur
indiquent qu’elles doivent jouer le jeu de la séduction : elles
prennent le métro, gagnent le centre-ville jugé plus sûr, se
changent dans les toilettes d‘un bistrot, et vont se promener
librement, souvent même contentes d’être remarquées par
les garçons… Le soir venu, c’est le schéma inverse. Et cela se
reproduit partout en permanence.
Aucun comportement n’est définitif : à Kaboul en 1930 il n’y
avait aucun voile dans les rues. En France ou en Algérie il y a
aujourd’hui plus de femmes voilées qu’il y a vingt ans.
Mais du coup, on négocie quoi ?
Ce qu’il faut négocier, c’est le sentiment de sécurité. La reli-
gion ne se négocie pas, mais si vousmontrez qu’en fait c’est
une adaptation au sentiment de précarité, en luttant contre
ce sentiment de précarité, vous voyez les voiles qui dispa-
raissent. Augmentez le sentiment de sécurité des groupes,
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