Nous pouvons bien sûr remarquer qu’il s’agit là d’une faute de syntaxe
– on ne tire pas des conséquences, on les observe – mais surtout c’est la
marque d’une modification de la pensée qui semble désormais souhaiter
que l’on réfléchisse à partir des conséquences… et non plus des causes.
Chacun est alors appelé à ne pas se soucier des causes… Un homme
politique éminent avait d’ailleurs insisté : «Ne cherchez pas à comprendre,
car chercher à comprendre c’est commencer à excuser. »
À partir de ce postulat, nous risquons tous de nous concentrer sur les
conséquences, sans nous occuper des causes : comme il est impossible
de régler un problème sans s’occuper des causes, nous risquons
l’épuisement. N’est-ce d’ailleurs pas ce qui nous menace aujourd’hui ?
Il est peut-être temps de revenir sur les enseignements des philosophes
des Lumières nous indiquant avec force la nécessité de rechercher les
causes. Aujourd’hui cette préoccupation est essentielle pour tous ceux
qui ont en charge la question sociale : pourquoi une telle violence,
pourquoi tel ou tel comportement, pourquoi une telle diversité d’atti-
tudes, de façons de faire ?
La peur de l’Autre et l’essentialisation de la
culture : les paramètres non négociables
Ce début du XXI
e
siècle voit perdurer une habitude ancienne, au point
que plus personne ne semble en remarquer l’incongruité : celle qui
consiste, sous prétexte d’étude culturelle ou interculturelle, à lire les
comportements humains à partir des paramètres identitaires telles
que la nationalité, la religion, voire la couleur de peau… Ainsi les Anglais
seraient comme ceci, les Chinois comme cela, les chrétiens comme ceci,
les musulmans comme cela, et les animistes autrement. Cette façon de
décrire le réel comportemental paraît usuelle et suscite peu de critiques,
alors que ses effets sont proprement dévastateurs.
En effet, si les Chinois sont comme ceci… alors ils seront toujours comme
ceci, car ils ne cesseront jamais d’être Chinois, et si les Africains sont
comme cela, alors ils seront toujours comme cela, car ils ne cesseront
jamais d’être Africains, si les musulmans sont comme ceci, alors ils ne
cesseront jamais d’être comme ceci, car ils ne cesseront jamais d’être
musulmans. Sous couvert d’explication interculturelle se dissimule, très
mal à nos yeux, une démarche pathétique et dangereuse.
Pathétique car elle exige un niveau d’ignorance considérable : la culture
serait le fruit de la nationalité… Or les nationalités sont récentes, et les
cultures anciennes. De nombreux pays n’existent que depuis moins de
deux cent cinquante ans – l’Allemagne, l’Italie, les États-Unis – d’autres
depuis quelques dizaines d’années – l’Algérie, le Gabon… – certains
depuis moins que cela encore – le Sud Soudan apparaît en 2012… Rares
sont ceux qui sont inscrits dans l’histoire longue – la France, la Chine, la
Tunisie…Et cependant nous n’hésitons pas à effacer ces écarts et à parler
de la culture « chinoise » en la comparant à la culture « américaine ».
Dangereuse car elle fixe peu à peu des invariants implicites : les com-
portements ainsi décrits, et, en quelque sorte, justifiés, ne peuvent
pas changer : l’homme n’est pas susceptible de changer rapidement,
facilement, de nationalité, de religion ou de couleur de peau. Alors il
faut supporter l’Autre dans son invariance, et c’est la porte ouverte à
l’exaspération, à peine tempérée par un discours sur la tolérance. Ces
méthodes de lecture de la diversité alimentent en fait la xénophobie, et
finalement la violence.
Il faut proposer autre chose.
Une autre façon de lire la différence pour
faciliter le dialogue : des paramètres universels
et négociables
Si l’objet de notre quête est une lecture de la diversité culturelle qui
rapproche les hommes, afin d’être en phase avec notre futur, alors il
faut trouver d’autres outils débarrassés des inconvénients des outils
classiques. Nous devons adosser les comportements des hommes à
des paramètres universels et négociables : universels pour être sûrs
qu’ils nous permettent de lire les comportements de tous les hommes,
négociables pour qu’ils induisent la capacité des hommes à changer. Or
qui peut nier que les hommes changent…
- Alors, les étudiants chinois que vous recevez dans votre
business school
, ils sont toujours aussi réservés ?
- Eh bien non, nous constatons qu’avec les années qui
passent, ils changent de comportement. En arrivant en
première année, ils sont très « chinois », puis en quatrième
année ils se comportent quasiment comme des Français…
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