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juvénile voix de pop star est générée en temps réel par un logiciel de

synthèse sonore, parfaitement synchronisé au jeu desmusiciens. Outre

l’apparence physique spectaculaire de Miku Hatsune, ancrée dans le

plus pur style manga, et la véritable hystérie qu’elle provoque dès son

apparition sur scène, cette « immatérialité » dansante vient poser une

pierre angulaire à l’édifice conceptuel imaginé par Méliès un siècle plus

tôt. Car si le rêve du cinéaste était de nous faire

voyager dans l’impos-

sible

par le truchement de l’illusion, avec par exemple son emblématique

Voyage dans la lune

, l’artiste Miku Hatsune nous offre une expérience

du réel directement réinvesti par l’imaginaire. L’impossible devenu

possible, grâce au subtil maillage du monde physique et de la sphère

virtuelle. Produit hybride du rêve et de la réalité, la créature Miku Hat-

sune apparaît comme dotée d’attributs exceptionnels qui repoussent les

frontières de l’imaginaire. Sa virtualité la rend duplicable à l’infini et donc

ubiquante, elle peut se produire dans différents endroits du monde en

même temps. Son immatérielle plasticité la rend polymorphe, elle peut

changer à tout moment d’apparence grâce à la génération en temps réel

de son image. Sa nature numérique la rend immortelle, son code issu de

logiciels évolue quelque part dans l’espace infini du

cloud computing

.

Sa connectivité la rend évolutive et participative, elle est le produit

de ses nombreux fans qui contribuent à son élaboration via Internet.

Miku Hatsune réussit donc l’exploit d’être à la fois l’expression de la

multitude créative et son inatteignable objet de désir. Ses prouesses

technologiques font de l’utopie un objet de consommation.

Cet exemple emblématique illustre bien le maillage de plus en plus fin

qui commence à s’opérer entre l’espace physique et la sphère virtuelle.

Cette porosité entre les deux mondes suscite des croisements

inattendus, des percolations créatrices de nouvelles valeurs. Comme le

dit Cris Anderson, l’un des promoteurs de la révolution des

makers

aux

États-Unis, «

nous avons passé les dix dernières années à élaborer de

nouveaux modèles dans la sphère virtuelle, nous allons à présent les

transposer dans le monde réel

». Cette perspective crée une rupture

sans précédent dans l’histoire des représentations. Car le réel numérisé

recompose les points de fuite du monde connecté. Miku Hatsune est

l’égérie annonciatrice d’un réel devenu ubiquitaire, comportemental et

relationnel. Un espace à

n

dimensions où se dessine les contours flous

d’une

hyper-réalité

. Ce changement de paradigme va nécessairement

conduire à investir la complexité du réel avec de nouveaux modes de

représentation. Car comme le dit le philosopheMichel Serres, «

qu’est ce

qui change avec le numérique, ou pour faire plus court, qu’est-ce qui ne

change pas ?

». C’est une révolution systémique, elle transforme tout ce

qui nous entoure. C’est une rupture anthropologique, l’

homo numericus

se voit doté de nouvelles externalités cognitives que sont ses augmen-

tations numériques.

Tel un tsunami, la révolution numérique transforme donc l’ensemble des

activités humaines. Deux forces majeures œuvrent à cette transforma-

tion : la puissance des machines, et l’énergie créative de la multitude.

Fidèle à la loi de Moore, la puissance des machines continue de progresser

de façon exponentielle et augmente toujours plus l’emprise et les

potentialités du numérique. La voiture sans pilote, par exemple, illustre

bien lamanière dont la technologiemodifie notre quotidien. Ce véhicule

autonome peut gérer plus de deux milliards d’opérations par seconde,

et est ainsi capable de distinguer simultanément des centaines d’objets

ou événements distincts sans jamais se fatiguer. Il a déjà effectué plus

d’unmillion de kilomètres aux États-Unis sans causer d’accidents, il sera

dans nos villes d’ici 2020. La puissance desmachines permet également

à la multitude connectée d’innover dans les usages, de développer les

échanges et les collaborations partout sur la planète. L’encyclopédie

collaborative Wikipedia illustre bien ce phénomène. Rédigée par des

millions d’individus isolés, elle propose plus de trente millions d’articles

dans deux cent quatre-vingts langues, soit l’équivalent de trois cent

cinquante volumes d’une encyclopédie classique. Cette production

collaborative, à la croisée de l’innovation sociale, du partage et des

échanges depair àpair, fait émerger unenouvelle force issuede la société

civile en réseau. Si les communs ont toujours existé, le numérique les

déploie et les synchronise aujourd’hui à l’échelle globale. Ainsi grâce au

crowdsourcing

, la grande distribution peut inviter des milliers d’inter-

nautes à concevoir de nouveaux produits de façon participative. Grâce

aux MOOCs, le cours d’un professeur réputé peut mobiliser des dizaines

de milliers d’étudiants répartis sur le globe. Le monde s’organise donc

autour de plateformes numériques qui fluidifient les échanges et créent

de nouvelles valeurs. Elles sont les nouvelles externalités positives de

la société en réseau.

Cette dynamique d’innovation sociale a notamment pour fer de lance le

mouvement des

makers

. Grâce à l’impression 3D, desmillions d’individus

peuvent « infofabriquer » des objets de toutes sortes : les objets du

quotidien, des meubles, des chaussures, des instruments de musique,

etc. Cette créativité foisonnante vient même ébranler les piliers de

l’économie traditionnelle. Ainsi la société WinSun a imprimé une somp-

tueuse villa de plus de 1 000 m² en quelques semaines. Son coût est

inférieur à 150 000 euros, et son « encre » est constituée à 60 % de