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et de recherche fondamentale ? Cette remise en cause peut être mise

en parallèle des débats qui entourent les notions de

green washing

et de responsabilité sociale des entreprises (RSE). De fait, comme les

entreprises responsables espèrent améliorer leur image et donc garder

des parts de marché mais aussi stimuler le personnel, l'idée est bien

qu'une université responsable est plus attractive, donne un sentiment

de fierté à la communauté universitaire — sentiment de fierté qui n'est

pas à négliger dans un contexte de doute de la profession et de remise

en cause de l'utilité sociale de l'université, notamment en sciences

humaines et sociales.

Mais, il y a là bien plus, à la fois dans ces réticences et dans ce projet. Il

est intéressant de se souvenir que l'UQAM, université créée à la fin des

années 60, a conçu, au début des années 1980, le service aux collec-

tivités avec la société civile (syndicats, associations des féministes et

des minorités), comme contrepoids et contre-modèle à l'université Mc

Gill, créée elle au XIX

e

siècle par de riches industriels, et qui, lorsqu'elle

devient publique au XX

e

siècle, reçoit une grande partie de son budget

de l'État du Québec, à l'époque très imprégné d'un clergé catholique très

conservateur. Cette idée originale, consistant à faire entrer pleinement

la société civile dans l'université, et à construire des programmes de

formationet de recherche à partir debesoins de la société civile, constitue

le noyau possible d'un nouveau modèle d'université. Dans ce cadre, on

échappe à la verticalité (

top down

) sans tomber dans l'horizontalité

totale dumodèle de la science collaborative, lequel risque le relativisme

généralisé accompagné parfois d'un certain obscurantisme. Mais ce

n'est pas non plus tout à fait un modèle

bottom up

, qui sous-entendrait

que la société est en dessous et l'université en haut, mais plutôt

un modèle fondé sur le partage des rôles, où la société s'adresse

à l'université, reconnaissant ainsi de fait ce qu'elle peut apporter en

matière d'expertise, de connaissance du monde.

Cenouveaumodèle retrouve en fait, d'unenouvellemanière, lesmissions

fondamentales de l'université car l'université est bien, et avant tout,

le lieu par excellence de la connaissance, de son élaboration et de sa

transmission, en formation initiale et en formation continue. Mais cette

réflexion autour du rôle social de l'université, de son rôle pour la société

— qu'elle joue gratuitement — conforte cette identité. L'université sera

alors « responsable », au sens où il s'agira pour elle de répondre (

respon-

dere

), répondre aux autres et répondre de soi-même. Ainsi, le modèle

de l'université sanctuaire, de l'université citadelle paraît contraire à

la vocation profonde de l'université. L'université ne sera plus conçue

comme temple de la connaissance, lieu exclusif de sa conservation et

de sa diffusion aux initiés, mais comme l'institution qui promeut la jus-

tification rationnelle fondée sur le savoir comme moyen de distinguer

les valeurs des différentes opinions. Ce nouveau modèle d'université

s'accompagne ainsi d'un nouveau modèle de société, qui place au cœur

de son projet non pas la valeur économique, qui n'est qu'un moyen pour

d'autres fins, mais la valeur du jugement humain.

Conclusion

Si l'université participe de fait à l'économie de la connaissance au sens

strict d'une participation à la création de richesses (sur le modèle du

transfert et de la valorisation) — et il y a sans doute, notamment dans

les sciences humaines et sociales, encore des progrès à faire en ce

domaine —, elle doit aussi, et peut-être surtout, être un acteur majeur de

la société de la connaissance, face aux risques de la société de l'opinion

et de l'obscurantisme. On pourra renvoyer aux écrits des dix dernières

années de la vie deMichel Foucault, et notamment ses commentaires de

l'opuscule de Kant

Qu'est-ce que les Lumières

? ainsi que son retour à la

manière dont la philosophie ancienne, à partir en particulier de la figure

de Socrate, permet de donner au savoir une valeur centrale dans la vie

de l'individu et de la société

8

. La connaissance, en ce qu'elle s'accom-

pagne d'une transformation de soi, a une vertu éthique (bien pour soi)

mais aussi politique (bien pour les autres). La pratique individuelle de la

rationalité, en ce qu'elle a des effets sur soi, est une «

spiritualité

» (c'est

le mot de Foucault, c'est aussi celui de Pierre Hadot

9

) — spiritualité qui

vient répondre au nihilisme (tout se vaut – rien ne vaut) et au fanatisme

(adhésion aveugle à un dogme). L'université est le lieu par excellence où

doit s'apprendre et se pratiquer ce travail de la rationalité qui conduit à

des effets subjectifs et sociaux bénéfiques.

Baptiste Bondu

Directeur de cabinet du président

de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense

(8) Voir, récemment, M. Foucault,

Qu’est-ce que la critique ?

, suivi de

La culture de

soi

, Paris, Vrin, 2015.

(9) Voir, récemment, P. Hadot, D

iscours et mode de vie philosophique

, Paris, Les

Belles Lettres, 2014.