Cahier numéro 2 - page 14-15

immunitaire, qui est lui-même un réseau d’information dans notre corps.
Cela s’applique aussi finalement dans la monnaie avec l’économie.
Nous aimons bien planter des forêts de sapins parce que cela pousse
vite. C’est vrai que c’est efficace, il y a plus de biomasse par an, mais une
allumette et plus rien ! Le brave panda, est très sympathique, mais il est
en voie d’extinction parce qu’il ne mange qu’un seul type de bambous.
Nous pouvons à présent mesurer la durabilité en termes de pourcentage
lorsqu’il s’agit de réseaux de flux complexes.
Certaines personnes dans le domaine des monnaies complémentaires
disent que le but est que tout le monde ait sa monnaie. Je dis non. Un
monopole c’est idiot, mais trop de monnaies, c’est aussi idiot. Lorsqu’on
est dans un monopole, le système est trop fragile. Par contre, quand on
pousse trop loin la diversité, le résultat est la stagnation : plus rien ne se
passe. Il faut trouver un équilibre qui se trouve invariablement dans une
petite fenêtre de tir de l’ordre de 2 ou 3 % autour de l’optimum. C’est ce
que l’on a appelé la fenêtre de viabilité.
Dans le cas du système monétaire, nous avons affaire à un monopole
artificiellement maintenu. Très efficace, extraordinairement efficace,
mais comme toute monoculture, ce monopole est en fait la propre
source de sa fragilité. Le résultat est que les chocs vont continuer de
façon soudaine et, disons-le, inexplicable, si l’on ne tient pas compte de
la structure du réseau.
Voici le problème : tant que l’on reste dans l’idée qu’il faut tout faire avec
une seule monnaie, nous pouvons prédire avec 100 % de certitude que
nous aurons encore des crashs. Je ne peux vous dire quand, mais je suis
certain qu’il y aura encore des instabilités monétaires et financières à
l’avenir...
La solution est qu’il faut d’abord sortir de l’idée d’une monnaie unique.
En France, cette idée date de 1267, avec les ordonnances de Louis IX,
saint Louis, qui déjà voulait imposer une monnaie unique dans le
royaume. C’est vrai qu’utiliser plusieurs monnaies, c’est moins efficace,
mais nous avons vu que le problème de l’efficacité, c’est que lorsque l’on
pousse trop l’efficacité, on récolte de l’instabilité.
En France, il y eut une période exceptionnelle du X
e
au XIII
e
siècle, le
Moyen Âge central, que l’on a souvent appelé l’ère des cathédrales. En
effet, avant saint Louis nous avions en France deux types de monnaie.
Un type de monnaie pour faire des échanges avec des gens que l’on ne
connaît pas, à longue distance. Et puis un deuxième type de monnaie
pour les échanges locaux : chaque ville, les abbayes, chaque organi-
sation de bienfaisance avait sa propre monnaie. Par exemple, dans le
Languedoc au XII
e
siècle, il y avait seize monnaies en circulation de
manière permanente.
Ce phénomène, ce système de double monnaie, a permis une stabilité
économique extraordinaire. Il n’y a pas eu une seule récession pendant
250 ans en France. C’est également pendant cette période-là que les
petites gens, les gens les plus modestes, ont vécu le mieux. Il y a même
des études qui ont montré que pour les 20 % des plus pauvres de la
société, la période dans laquelle on vivait le mieux en Europe, c’était au
XII
e
siècle. On en a des preuves physiques, entre autres au musée de la
ville de Londres. Lorsqu’on a construit le métro, on a trouvé des osse-
ments de toutes les époques, de la préhistoire en passant par la période
romaine jusqu’à aujourd’hui. Nous savons tous que nous sommes plus
grands que nos parents et nos grands-parents parce que nous avons
eu une période des Trente Glorieuses comme nous l’appelons, pendant
laquelle nous avons étémieux nourris que les générations précédentes.
Eh bien les femmes du XII
e
siècle à Londres avaient un centimètre de
plus que celles d’aujourd’hui et huit centimètres de plus que celles de la
période victorienne ! Et ce n’est que dans les trente dernières années
que les hommes ont rattrapé la taille de leurs ancêtres du XII
e
siècle.
Une troisième caractéristique de cette période est que l’on pensait à
long terme. Par exemple, on construisait de manière très durable. Les
cathédrales construites à cette époque sont toujours là. Que restera-t-il
de notre civilisation dans mille ans ? Nos déchets nucléaires, c’est sans
doute à peu près tout.
Nous avons pu montrer que toutes ces caractéristiques positives du
Moyen Âge central s’expliquent par le système à double monnaie, en
fait un véritable écosystèmemonétaire, qui était établi à l’époque
3
. C’est
la dernière fois que nous avons eu des monnaies complémentaires de
façon durable en France.
La solution à notre instabilité systémique actuelle serait de permettre
le développement d’un écosystèmemonétairemoderne, qui comprenne
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(3) Voir Bernard Lietaer,
Au cœur de la monnaie
, Paris, Éditions Yves Michel, 2012.
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