Cahier numéro 2 - page 16-17

en parallèle avec la monnaie nationale ou l’euro, des systèmes de
monnaies complémentaires qui permettent de résoudre des problèmes
locaux, sociaux ou environnementaux. Bref, il faut nous sortir de la tête
l’idée qu’il ne faut qu’une seule monnaie.
Qu’est-ce qu’une monnaie ? Ce qui est intéressant de noter, c’est que
tous les textes d’économie sans exception définissent la monnaie
d’après ses trois fonctions : standard de mesure, moyen d’échange et
instrument d’épargne. Piège sémantique !
Dans un autre domaine, c’est comme si nous n’avions aucun mot pour
décrire le concept de « transport » par exemple, et que nous n’avions
que le mot « cheval » pour ce genre de fonction. Personne n’aurait pu
inventer la bicyclette ou l’automobile. On aurait toujours perfectionné
les chevaux ! En fait, la définition même du terme monnaie par ses
fonctions (c’est-à-dire par ce qu’une monnaie
fait
) est donc un piège
sémantique.
Voilà ma définition. La monnaie
est
un accord dans une communauté
donnée sur l’utilisation de quelque chose de standardisé comme moyen
d’échange. Unemonnaie vit donc dans lamême catégorie que lemariage,
le parti politique, le contrat d’affaires. Ce n’est pas un objet. C’est un
accord dans une communauté déterminée. Actuellement, la monnaie
dominante est l’euro, et la communauté est celle des pays participants
au système monétaire européen.
Alors combien d’entres vous ont déjà utilisé des monnaies complémen-
taires ? Combien d’entre vous ont déjà utilisé des «miles » proposés par
les lignes d’aviation, ou des points Carrefour ? La plupart d’entre vous
a déjà utilisé des monnaies complémentaires sans le savoir, comme
Monsieur Jourdain faisait de la prose. Je ne dis pas que ces monnaies
commerciales sont socialement intéressantes. Leur objectif est de
fidéliser leur clientèle. Cela n’a pas d’autre effet social, mais le système
existe et fonctionne à très grande échelle.
Quelle est la fonction d’une monnaie complémentaire? Elle construit un
lien entre des besoins non satisfaits et des ressources sous-utilisées.
Par exemple, pour les « miles » des compagnies aériennes, le besoin
non satisfait des compagnies aériennes est la fidélisation de la clientèle,
et la ressource non utilisée est un fauteuil vide dans un avion. C’est la
raison pour laquelle il y a des périodes dans lesquelles vous ne pouvez
pas utiliser vos « miles ». Autour de Noël, il ne faut pas essayer, parce
que les avions sont pleins. On s’assure d’abord que le fauteuil est vide.
Tout économiste normalement constitué vous dira que l’idée d’une
monnaie complémentaire est idiote car ce n’est pas efficace. Il a raison.
Les « miles » sont moins efficaces que si tout le monde utilisait des
euros ou des dollars. En fait, l’effet des monnaies complémentaires
réduit l’efficacitémais nous rapproche peu à peude la fenêtre de viabilité.
Voilà le rôle des monnaies complémentaires.
Une autre confusion que nous avons souvent en France, est que l’on
confond monnaie complémentaire et monnaie locale. Les monnaies
locales sont des monnaies complémentaires mais il y a beaucoup de
monnaies complémentaires qui ne sont pas locales. Je compare les mon-
naies locales à nos vaisseaux capillaires. Les vaisseaux capillaires sont
très utiles. Cela nous garde au chaud, cela nous donne un peu de couleur,
sinon on serait tous comme des cadavres. Mais lorsque vous avez une
crise cardiaque, ce ne sont pas vos vaisseaux capillaires qui vont vous
sauver ! Il est utile de penser à des choses un peu plus robustes.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce thème, il y avait moins de deux
cents monnaies complémentaires. En 1984, il y en avait deux, leWIR en
Suisse qui date de 1934, et le premier LETS (Local exchange trading
system) au Canada. J’ai arrêté de compter les monnaies complémentaires
après 2005, parce que maintenant les chiffres explosent, mais nous en
avons plus de 5 000 rien que dans une douzaine de pays.
Les
torekes
à Gand
La ville de Gand est une ville riche en histoire. Au XII
e
siècle, c’était en
importance la deuxième ville d’Europe juste après Paris. Aujourd’hui
encore, cette ville universitaire est riche, mais elle a aussi le quartier
économiquement le plus pauvre de toute la Flandre. Dans ce quartier,
la densité de population est très grande, il doit s’y trouver près de
20 % d’illégaux non répertoriés dans nos statistiques. On y parle une
vingtaine de langues, dont la dominante est le turc. On y trouve les
problèmes classiques que l’on connait aussi dans les banlieues pauvres
en France. Alors la ville m’a demandé comment on pouvait rendre ce
quartier plus agréable à vivre.
Ona commencépar faireuneenquête. Et l’enquêteétait : «Dequoi rêvez-
vous ? Qu’est-ce qui vous ferait vraiment plaisir et que vous n’avez pas
maintenant ? » Et la réponse a été : un petit jardin. Lamotivation typique
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