Quelle serait une économie de prospérité ? Il s’agirait d’une économie
qui augmente le bien-être social, qui fournit en suffisance les besoins
essentiels – une nourriture variée et saine, une eau et un air sain,
un abri confortable -, une économie où l’individu peut épanouir ses
talents, où il peut vivre sa vie de famille, avec ses enfants et avec ses
aînés, enrichir ses connaissances et ses rencontres. Ce serait aussi une
économie qui protège les équilibres écologiques de la planète, puisque
la vie de l’être humain y est intimement liée.
Lorsqu’une abeille butine une fleur, elle y prend sa nourriture mais elle
transporte aussi le pollen qui permettra à la fleur de se reproduire :
son activité régénère la fertilité du milieu dont elle dépend. Lorsqu’un
fauve se nourrit d’un herbivore, il protège la savane d’une exploitation
excessive et permet au milieu de se régénérer. C’est ainsi l’ensemble
du fonctionnement du vivant : son économie – de
oeko-nomos
, la
gestion de la maison et de la maisonnée - est durable par ce qu’elle
est régénérative. C’est aussi une économie d’une extraordinaire
croissance. Depuis près de 4 milliards d’années que la vie s’est formée
sur terre, elle n’a cessé de croître et de se complexifier.
Étonnamment, dans notre façon d’évaluer notre activité économique,
nous ne disposons pas des indicateurs mesurant ce type de prospé-
rité : nous savons mesurer la régénération financière, nous savons
mesurer le taux d’activité, nous commençons à chercher à mesurer
l’importance des impacts écologiques ou sociaux... Mais nous sommes
très mal outillés pour mesurer comment les activités économiques
se couplent à ce qui fait vraiment la qualité de la vie humaine. Cette
considération semble hors de notre paradigme. Est-ce parce que ce
type d’économie nous semble hors de portée ? Est-ce parce que
nous considérerions, tout compte fait, que ce n’est pas l’objet de
l’économie ? Dans ce cas quel est dont l’objet d’une « gestion de la
maison et de la maisonnée » ?
Depuis les années 1960-1970, il semble que nous assistions à un total
renouveau économique et productif. Il semble que cette économie de
la prospérité est en train de naître : une économie régénérative de
ses ressources, créatrices de nouvelles, ancrant sa productivité et sa
croissance à son territoire local.
Il s’agit d’une économie symbiotique qui couple la croissance des
activités humaines avec la régénération des liens sociaux et des éco-
systèmes.
40 ans, 3 révolutions, une seule et même économie
Depuis 40 à 50 ans, de grandes innovations économiques et productives
ont émergé. Elles ont pour caractéristique deminimiser les externalités
21
négatives écologiques et de produire des externalités positives
économiques et sociales, voire écologiques. Elles repensent les façons
de produire et d’échanger.
La première de ces révolutions est celle d’une
production reconnectée au
vivant
.C’estl’ingénierieécologique,l’agro-écologieetlapermaculture.Dans
cette révolution, la vision du vivant change : les écosystèmes ne sont plus
vus comme des ensembles inertes et au mieux décoratifs, mais comme le
sièged’unegrandepuissancetechnique,bénéficiairede4milliardsd’années
de recherche et développement. Mis au cœur du système productif, ils
répondent aux besoins essentiels des sociétés humaines, qui sont elles-
mêmes des sociétés vivantes. Ils fournissent des fonctions, desmatériaux
et des molécules utilisables enmédecine et en chimie verte. Ils sont multi-
fonctionnels et favorisent la création de nouvelles activités économiques.
Ils produisent des paysages de qualité, sont intégrables au cœur de la ville
etfavorisentlesrencontressocialesetlarégénérationphysiqueetmentale.
Ils allient les capacités techniques du vivant avec la puissance organisa-
tionnelle humaine. L’efficience économique et le rendement par unité de
surface de l’ingénierie écologique sont élevés : l’épuration des eaux d’un
équivalent habitant atteint 0,5 à 1 m
2
quel que soit le climat et présente
des coûts d’implantation et d’usage inférieurs aux centrales d’épuration
classiques
22
, la productivité économique par unité de surface du maraî-
chage permaculturel a été mesurée 10 fois supérieure aux techniques
conventionnelles
23
, son utilisation pour l’infiltration des eaux de pluie a
réduit les coûts de 66 % par rapport au redimensionnement des égouts
dans la ville de Lyon
24
et de30%dans la ville deNewYork
25
.
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59
(21) Une externalité est la capacité d’un agent économique à créer, par son
activité, un effet externe en procurant à autrui, sans contrepartie monétaire, une
utilité ou un avantage de façon gratuite (externalité positive), ou au contraire une
désutilité, un dommage sans compensation (externalité négative).
(22) Entretien personnel avec Thierry Jacquet, directeur de la société Phytorestore,
novembre2015,etVéroniqueArfi,directricedelasociétéPhytorem,septembre2013.
(23)S.Guégan,F.Léger,G.ChapelleetC.Hervé-Gruyer,
Maraîchagebiologiqueperma-
culturel et performanceéconomique
,rapportd’étape1&2.INRA,Agroparistech,Bio-
mimicry Europa, UMRSADAPT, Ferme duBec Hellouin et Institut Silva, 2011-2013.
(24) D. Laperche, «Gestion des eaux de pluie : l’infiltration, la solution de demain ? »,
Actu-environnement
. Récupéré sur
http://www.actu-environnement.com/ae/news/gestion-eaux-pluie-infiltration-solution-demain-21721.php422mai 2014.
(25) City of NewYork., PlaNYC progress Report, 2013.