Cahier numéro 4 - page 20-21

Le lycéen paraît très content de lui. Il se dirige avec aisance
et grand sourire vers son père :
- Papa, je viens de recevoir mon bulletin. Il va te plaire !
- Éducation physique et sportive :
. note : 17/20
. rang : 1
er
. commentaire du professeur : « Peut mieux faire ».
- Dis papa, mieux que premier, c’est combien ?
Nombreux sont ceux qui se laissent entraîner à confondre les habitudes
contextuelles avec des normes : « Tout lemonde cherche à améliorer sa
situation… » est une de ces évidences qui participe à l’incompréhension
entre les hommes.
De surcroît, l’idée de « faire mieux que son père » a été largement
disqualifiée par la confusion entre faire plus et fairemieux. De très nom-
breux économistes, des hommes politiques, ont entretenu, sciemment
ou pas, cette confusion : « Travailler plus pour gagner plus » en a été l’un
des nombreux avatars qui a induit des populations entières en erreur.
Est-il vraiment sûr que ce soit mieux de travailler plus pour gagner plus ?
Quand des générations d’ouvriers, d’employés et de cadres se sont
dévoués à leur travail, parfois même à leur employeur, y sacrifiant une
part notable de leur vie personnelle et familiale, pour se retrouver au
chômage à cinquante ans sans espoir de reconversion, la relation entre
le plus et le mieux n’est pas évidente.
Cette confusion est justement à l’origine de ce que nous appelons la
crise, mais qui, selon nous, loin d’être une crise passagère n’est que la
fin d’une logique. On ne peut indéfiniment produire plus dans unmonde
fini : « Celui qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un
monde fini est soit un fou, soit un économiste. » (Kenneth Boulding).
Sortir de la précarité
Cet angle d’observation nous fournit un éclairage particulier sur les
moyens de sortir de la précarité. Il convient de ne pas se laisser emporter
par un amalgame facile et courant : la logique implicite de la précarité
– tu feras comme ton père – peut faire croire que les groupes sociaux
concernés ne veulent pas changer de pratiques sociales, et qu’ils sont
donc porteurs de logiques conservatrices. Cet argument est souvent mis
en avant sous les formes les plus démagogiques : « Ils se complaisent
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comme cela », « Ils ne font rien pour s’en sortir », « Ils préfèrent se
laisser vivre… et profiter des services sociaux »… En réalité, il n’en est
rien :
Le soleil commence à baisser sur l’horizon montagneux…
le couchant, le Maghreb, le Maroc. Il fait encore très chaud,
mais à cette heure il est possible de se remettre à travailler
un moment. Assis en cercle sur une natte, les étudiants
écoutent l’enseignant qui termine une explication sur les
progrès possibles dans la région enmatière d’élevage ovin…
Leur hôte, un nomade de la tribu des Ouled Sidi Cheikh, des-
sine d’improbables figures dans le sable, puis se lève, saisit
la bouilloire sur le feu, remplit un petit verre de thé brûlant
et très sucré, et le tend à l’enseignant : « On écoute bien
tout ce que tu dis, et c’est intéressant, mais nous on aimerait
bien faire mieux, à condition de continuer à faire pareil. »
Ce souhait peut paraître contradictoire, en réalité il dit deux choses
essentielles :
- La précarité n’est pas une situation enviable et nous souhaitons en
sortir. Sauf quepour lemoment nous n’avons pas le choix. Ne confondez
pas « ne pas avoir le choix » et « se complaire dans la situation ».
- Nous devons respecter les pratiques traditionnelles car tous ceux qui
s’en sont écartés sont morts… Il faut donc bien arriver à fairemieux en
continuant à faire pareil.
Il apparaît alors ici que la logique de précarité n’est pas conservatrice,
mais conservatoire : faire mieux mais en continuant à faire pareil, en
tenant compte des expériences qui ont permis de survivre jusqu’alors.
Se dessine alors un chemin de sortie de la précarité qu’il faut bien
appréhender.
Accrochée à sa corde, la jeune femme est inquiète : elle est
à mi-hauteur d’une falaise de cent mètres, et sa vie ne tient
qu’à un fil. Au sol une sorte de coach s’époumone :
- C’est idiot de continuer comme cela, il y a un escalier dix
mètres à gauche. Lâchez donc la corde et attrapez l’escalier…
Terrorisée la jeune femme n’obéit pas : si elle lâche la corde,
elle va s’écraser au pied de la falaise.
- Tu vois, dit le coach à son voisin, elle ne veut rien entendre,
ce n’est pas comme cela qu’elle s’en sortira !
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