ENTRETIENS AK - Cahier n° 13 avec couv - page 15

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Je vais vous parler de mes lecteurs, plus précisément de mes lectrices,
parce que
Pleine Vie
s’adresse plutôt à des femmes. Je travaille pour
ce mensuel depuis presque dix-huit ans et j’ai pu voir au cours de ces
années l’évolution des « seniors ». Les « seniors » regroupent en fait
des gens de 55 ans, qui sont donc encore actifs, et des gens de 80, 85
ans et plus. Il est vrai que l’âge n’est pas un critère. C’est ce qu’on peut
remarquer chez nos lecteurs : la majorité des gens, jusqu’à 70, voire
75 ans, mais parfois jusqu’à 80 ans sont excessivement actifs, ont
des « emplois du temps de ministres », ils s’occupent de leurs petits-
enfants, de la vie de la cité, ils sont souvent très engagés dans la vie
de la cité, la vie associative – quelle association pourrait vivre sans les
seniors ? Puis il y a une cassure après 80, 85 ans dans le meilleur des
cas, où commencent vraiment les problèmes de santé et de dépendance.
On a souvent tendance à dire 75 ans, mais cet âge recule un peu d’après
ce que nous pouvons en voir. Mais effectivement, tout dépend de la vie
qu’ils ont menée avant : quand on est ouvrier, quand on est agriculteur,
c’est souvent plus compliqué de bien vieillir que quand on a été dans un
bureau ou qu’on est CSP+.
Ce que je remarque surtout, c’est que ces baby-boomers, que nous
appelons « papy-boomers », ont inventé leur vie. Ce sont ceux qui ont
vécu et participé à 68, ou qui ont bénéficié de toutes ces avancées. Ils
ont inventé une nouvelle façon de vivre toute leur vie, depuis l’après-
guerre, dans leurs rapports à la famille, dans leurs rapports aux amis,
leur sexualité, et aujourd’hui, ces seniors veulent aussi inventer de
nouvelles façons de vivre leur retraite. Ils mettent à profit tout leur
savoir, leur argent, leurs relations pour inventer de nouvelles façons de
vivre. On l’a dit tout à l’heure, le souhait de tout le monde est de vieillir
chez soi le plus souvent possible et le plus longtemps possible. Certes,
c’est enviable pour tout le monde, avec un petit bémol, la solitude. Pour
beaucoup, nous allons vieillir seules, nous les femmes, c’est une réalité
démographique. Beaucoup de femmes vont vieillir toutes seules. De
plus, on voit l’explosion des familles, des couples, un grand nombre de
divorces, donc même des hommes vont vieillir seuls.
Un des enjeux majeurs, que nous traitons souvent dans
Pleine Vie
:
comment rompre cette solitude ? Jusqu’à 70, 75 ans, voire un peu plus,
on ne souffre pas trop de solitude, surtout en ville, ou même dans les
petites et moyennes villes, voire de gros villages. Il y a des associa-
tions, on est très engagé. Et plus on a été engagé dans sa vie, plus on
l’est à la retraite. Tant qu’on est engagé dans la vie de la cité et dans la
vie associative, il n’y a pas de souci. Mais il arrive un jour où même les
associations vous mettent un peu au ban. Et à partir du moment où on
n’a plus ce lien social commencent les difficultés. Tant qu’on a une vie
sociale riche, on vieillit mieux. Même si on a des pépins de santé, on les
aborde d’une meilleure façon que si on est seul. C’est pourquoi selon
moi, la solitude est un des grands enjeux de l’avenir, comment rompre la
solitude. Dans le bénévolat, on voit les jeunes seniors visiter les anciens.
On voit aussi la création de beaucoup d’associations de seniors pour les
plus âgés.
Quand je disais par exemple que les seniors réinventent leur façon de
vivre, ce que je note depuis quelques années, c’est la multiplication des
cohabitats. Le premier cohabitat que j’ai visité est à quelques rues d’ici,
dans le vieux Nanterre. Ce sont des personnes de 60 ans qui ont décidé
il y a quelques années d’acheter une maison et de la partager. Chacun
sa chambre, plutôt une belle chambre, et toutes les autres pièces en
communauté. Mais chacun vit comme il le souhaite. Ce n’est pas une
communauté, ce ne sont pas des hippies qui auraient décidé de se relan-
cer dans la vie à plusieurs, même si certains ont pu vivre ce genre de vie
quand ils avaient vingt ans.
Les motifs d’aujourd’hui pour vivre à plusieurs ne sont pas les mêmes.
Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce sujet dans les années 1998,
2000, je pouvais compter les cohabitats sur les doigts de mes deux
mains. L’an dernier, j’ai refait une étude, un gros dossier, et aujourd’hui, il
y a un peu plus de 400 cohabitats en France. C’est très peu par rapport à
ce qui existe dans les pays duNord, l’Allemagne, la Suède, la Norvège, et
même la Belgique, où ce type d’habitat partagé représente jusqu’à 20%
du parc immobilier. Chez nous, c’est un chiffre très petit mais en aug-
mentation, et je pense que c’est quelque chose qu’il faudrait multiplier.
Il y a beaucoup de types de cohabitats. On n’est pas obligés de vivre
tous ensemble dans la même maison. Ce qui se fait de plus en plus,
ce sont des appartements, des petites maisons dans un lieu commun,
une espèce de lotissement que les gens vont construire eux-mêmes.
Souvent, ils sont à l’origine du projet, ils font construire à plusieurs, c’est
moins cher (jusqu’à 15%moins cher que de faire construire une maison
individuelle). Ensuite, la mutualisation du garage, de l’atelier, du jardin,
de pièces à vivre, du chauffage, de l’électricité, de l’eau va permettre de
réduire énormément les coûts d’usage.
La plupart des personnes que j’ai rencontrées étaient très souvent des
personnes seules, des femmes seules, qui avaient de toute petites
retraites et qui, par ce moyen, pouvaient rompre la solitude, savaient
qu’elles pouvaient compter sur leurs voisins en cas de soucis. Si elles se
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