ENTRETIENS AK - Cahier n° 13 avec couv - page 18

musiques, l’e-commerce, la pratique des communications instantanées
même si la visioncommunication devient courante entre petits-enfants,
enfants et grands-parents éloignés. Aux États-Unis les pratiques
s’étendent sans distinction d’âge. Les seniors sont aussi présents sur
Facebook que les adolescents
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.
Dans ces conditions pourquoi les interfaces simplifiées à destination
des seniors se sont-elles tant développées (Ordissimo, Magui, E-Sidor…) ?
Ordinateur simplifié et bridé, téléphone à grosses touches... Ces disposi-
tifs n’ont pas rencontré massivement le public senior comme escompté,
mais plutôt des publics rencontrant des difficultés ou handicaps spéci-
fiques (visuel, gestuel...). Adressant l’outil plutôt que l’usage et l’appren-
tissage, ces premières innovations ont peu exploré les changements
en cours dans la dynamique du vieillissement. Malgré la recherche de
simplicité tactile, ces offres restreintes ont maintenu une vision de la
vieillesse comme une moindre capacité à faire, à apprendre, à interagir.
Le développement symptomatique des « gérontechnologies »
La troisième ornière consiste à réduire les technologies à un rôle
d’assistance médicale et sociale. Certes les besoins en ce domaine
existent, les applications sont nécessaires étant donné le coût de la
santé. Et les potentialités technologiques sont tout à fait incroyables :
capteurs de mouvement, mesure, analyse et diffusion des paramètres
physiologiques, miniaturisation des prothèses et des médicaments
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.
Mais le champ de la télé-assistance et des gérontechnologies, voire
de la télémédecine, se développe trop souvent en produisant des
dispositifs de gestion et de rationalisation des risques au prix d’une
surveillance permanente. Le danger d’un tel positionnement serait de
déresponsabiliser des individus déjà fragilisés, de les enfermer dans
une dépendance anxiogène aux équipements (et derrière ces derniers
aux systèmes de soins) et finalement d’aller à l’encontre de la dignité
et du libre choix humain. Il est au contraire important d’utiliser les
technologies pour faciliter des stratégies d’adaptation plus humaines,
invitant à négocier les obstacles plutôt qu’à les supprimer. Réussir à
préserver l’autonomie sans produire de nouvelles formes de dépen-
dance. Il n’y a pas d’âge ni de seuil de dépendance qui empêchent de
penser le rôle de la technologie pour l’autonomie. On pourrait éviter
Les échecs commerciaux enregistrés et la non-appropriation par les
publics ne sauraient s’expliquer par une seule problématique financière
(coût d’accès, modèle économique). Ils pointent un positionnement
relativement malaisé des services technologiques vis-à-vis des pro-
blématiques des vieillesses ordinaires. Plusieurs ornières sont à éviter.
La rupture générationnelle
La première ornière consiste à croire - faussement - que les seniors
ne s’intéressent pas aux nouvelles technologies et ne savent pas les
utiliser. Les générations qui n'ont pas connu l’informatisation au travail
ou à la maison sont des populations spontanément moins équipées.
Mais l’équipement ne conditionne pas à lui seul l’usage : qui peut
s’exercer chez les enfants, dans le cadre d’une activité associative, dans
un espace public numérique… Plusieurs autres facteurs viennent le
pondérer comme la catégorie socio-professionnelle (PCS), le niveau de
revenu, l’emploi exercé auparavant, la présence d’autres personnes dans
le foyer, le lieu d’habitation, etc. Dans l’appropriation ou la résistance
aux technologies, beaucoup de facteurs sont en jeu : en particulier une
familiarité ou une continuité avec des expériences passées, ainsi que
des habitudes de vie et de pensée. Le rejet des technologies quand il
s’exerce, est moins celui de la technique que la crainte d’altérer un
équilibre, des routines, une certaine représentation du monde. D’où
l’importance de l’entourage, du réseau relationnel qui participe à
donner du sens à la technique. La valeur d’un usage est avant tout un
« construit social ». Elle s’élabore dans une interaction signifiante aux
autres, dans les effets perçus après coup dans la vie sociale de tous les
jours. C’est pour cela que les usages se développent particulièrement
dans « l’imitation » (aux proches), car celle-ci change la perception de la
complexité et augmente la confiance en soi.
La fausse piste des interfaces simplifiées
La deuxième fausse piste consiste à considérer que les usages des
seniors sont plus « simples » et qu’ils nécessiteraient des interfaces
simplifiées. Or dès lors qu’ils sont équipés/connectés
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, les seniors ont
des usages comparables à la moyenne de la population, voire plus
importants pour l’e-mail, l’accès aux portails publics, l’information sur la
santé, les services bancaires et boursiers. Leurs usages sont légèrement
inférieurs à la moyenne pour le jeu, le téléchargement de films et de
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(4) Source CREDOC, 2010 enquête « Les conditions de vie et les aspirations des
Français : la diffusion des technologies de l’information dans la société française »
(5) Étude Nielsen blog.nielsen.com/nielsenwire/online_mobile/six-million-more-
seniors-using-the-web-than-five-years-ago/
(6) Voir les rapports Alcimed CNSA et celui de Vincent Rialle sur les technologies
nouvelles susceptibles d’améliorer les pratiques gérontologiques et la vie quoti-
dienne des malades âgés et de leurs familles.
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