Favoriser les initiatives
La ville ne se décrète pas. Mais les Français ont un léger retard en
matière de
bottom-up
tout en excellant sur le
top-down
. À Berlin, où
j’essayais d’organiser un événement, il n’y a plus de
top-down
, c’est
tout du
bottom-up
. On a des tas de jolies opérations super, tout du
bottom-up
. La ville est un fait collectif qui ne peut qu’être infléchi par
ses acteurs, notamment politiques. Si l’engagement des édiles est une
condition
sine qua non
de la régénération urbaine, elle ne suffit pas
même quand le territoire est doté d’outils d’aménagement puissants
et efficaces. La créativité collective est de mise et non seulement en
termes de participation classique où la population est simplement
sollicitée quant à son adhésion à ce qui est imaginé pour elle. Si les
exemples français ne manquent pas en la matière, notamment grâce à
l’apport de collectifs engagés, la démarche n’est pas habituelle et elle
s’impose toutefois notamment pour faire la ville durable qui exige un
investissement actif de la société au sens large du terme. L’île deNantes
a été un laboratoire vivifiant transformant des idées d’entrepreneurs
de toute sorte en projets concrets qui sont à l’origine du quartier de la
création par exemple. Darwin à Bordeaux montre aussi qu’une initiative
bottom-up
a généré un programme innovant sur la rive droite avec
des programmes liés notamment à l’évolution du travail et des modes
de vie. La crise fut un levier à Amsterdam et à Bréda pour accélérer
l’accueil d’initiatives générant des lieux aussi étonnants que De Ceuvel,
lieu de travail et de loisirs inédit sur un terrain pollué, utilisant des
anciennes barques comme socles de construction, laissant un sol libre
que le végétal doit sauver de sa pollution lourde en dix ans, temps de
la concession. L’ouverture à ces programmes et à ces projets enrichit la
fabrique urbaine demanière significative et devient dans certains cas le
mode de travail d’une collectivité comme c’est le cas à Lisbonne avec le
budget participatif qui génère des actions inédites et de l’engagement
citoyen, ou l’ouverture des édiles à toute proposition venant de profes-
sionnels, de collectifs et d’usagers. Un autre mode de fabrique urbaine
qui ne se substitue pas aux projets lourds mais vient les enrichir et les
complexifier tout en aidant à la mobilisation citoyenne pour l’urbain.
L’art fabricant d’identité et de métropoles
Pour créer une métropole Nantes Saint-Nazaire sur un territoire non
continu, autour d’un grand fleuve, il est patent que l’approche artistique
a fondé un sentiment d’appartenance et d’identité chez les habitants
de l’estuaire. C’est la monumentalisation de la Loire qui est à l’œuvre
avec d’abord les biennales d’art contemporain puis Le Voyage à Nantes,
accompagnés d’une culture multiple et métisse, dans un contexte
propice à l’inventivité et à l’esprit d’entreprise. Ces approches artistiques
et culturelles parviennent à créer un sentiment d’appartenance à la
métropole par leur aspect ludique, des événements, des fêtes, de l’évé-
nementiel, en écho à l’Emscher Park qui a inventé la « festivalisation »
de l’urbanisme. C’est aussi la capacité à faire rêver, à dépasser ses
frontières en exportant la culture née du local, en attirant des artistes
de renom international.
Oser agir au risque de se tromper
Les Villes qui ont fait la preuve par l’action ont pris des décisions pas
toujours faciles. Et ces décisions ne sont pas aisées à prendre car nul
ne peut garantir la sécurité d’une décision. C’est toujours un pari sur
l’avenir. L’incertitude d’un projet, quel qu’il soit, est telle quemême dans
des domaines réputés techniques et basés sur des recherches et études
sérieuses, la décision ne peut être parfaitement rationnelle. Elle exige
une énorme prise de risque, un sens du pari.
Dans ce contexte, ce qui est attendu des élus, c’est d’être capable de
se lancer dans l’action au risque de l’échec. Ils prennent aussi le risque
d’être impopulaires car, en général, les habitants n’aiment pas les
changements même quand on sait que l’avenir sera meilleur. Pour ces
villes qui ont fait leur preuve par l’action, le projet urbain n’est pas fait
que de papier. Le projet futur est crédible car la ville a fait la preuve de
sa capacité à passer à l’acte. Bilbao a pris le risque de l’action, souvent de
manière impopulaire et contre l’avis des habitants (par exemple pour le
Guggenheim qui faisait l'objet d'un rejet populaire avant sa réalisation),
ainsi que le risque financier. Mais il faut savoir miser pour gagner.
Seules les villes qui font des paris osés pour lesquels elles osent des
investissements financiers majeurs et/ou des décisions courageuses,
peuvent obtenir un tel succès.
Ariella Masboungi
Architecte-urbaniste,
grand prix de l’Urbanisme 2016
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