Cahier n° 11 - page 10-11

9
bon usage des deniers publics. Internet change radicalement la gouver-
nance publique en rendant possible la mise en œuvre de ces principes
et en accélérant les échanges de données sur le réseau en effaçant
les barrières traditionnelles qui rigidifiaient l’accès à l’information. À
cet égard, Wikipédia illustre parfaitement l’ambition de généraliser les
connaissances, déjà portée deux siècles auparavant par l’
Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert.
Dans un contexte où les démocraties occidentales connaissent une
crisemassive de défiance des citoyens envers leurs institutions, les élus
comme les agents publics doivent répondre en responsabilité. À défaut,
cette défiance continuera de nourrir les extrémismes ou les fantasmes
de toutes sortes. Le baromètre du CEVIPOF
2
de Sciences Po associé au
CNRS dresse d’ailleurs, depuis janvier 2010, un tableau sombre de la
confiance politique dans notre République qui ne cesse de croître depuis
les années 1980. Ainsi, la cinquième vague de cette étude révèle qu’en
janvier 2014, «
87 % des Français considèrent que les responsables
politiques se préoccupent peu ou pas du tout des gens comme eux
»
soit une hausse de 6 points depuis janvier 2010. La transparence par
la libre diffusion des données publiques pour rendre des comptes aux
citoyens peut ainsi contribuer massivement à renouveler la démocratie,
les pratiques des élus et des institutions, et redonner confiance aux
citoyens dans la gouvernance publique.
En abolissant le principe du secret administratif en juillet 1978
3
, la
France s’est pourtant dotée d’un cadre juridique ambitieux en adoptant
la loi relative à l’accès aux documents administratifs, dite « loi CADA ».
Le renversement du principe en faveur de la transparence adminis-
trative s’illustre par la création d’un droit à l’information pour toute
personne qui souhaiterait connaître l’activité des services publics en
accédant librement aux documents et aux savoirs de l’administration.
Cette réponse par la transparence fut d’ailleurs renforcée au tournant
des années 2000 avec la loi du 12 avril 2000
4
, avec la création du ser-
vice public de la diffusion du droit par Internet (Legifrance
5
) à la suite de
la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999
6
reconnais-
sant l’accès au droit comme un objectif à valeur constitutionnelle, ou
(2)
/
(3) Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des
relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre adminis-
tratif, social et fiscal.
(4) Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
relations avec l’administration.
(5) Décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du
droit par l’internet.
(6) Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.
La démocratisation et le développement d’Internet a généralisé l’accès
à l’information, ce qui oblige les décideurs publics à prendre en compte
des attentes de plus en plus fortes exprimées par les citoyens – qui
sont aussi électeurs et contribuables – sur la situation des politiques
publiques. L’
Open Data
, ou l’ouverture et le partage sur Internet des
données publiques, constitue un levier formidable pour rendre des
comptes aux citoyens en toute transparence sur la gouvernance de
l’État, pour moderniser le service public en lui redonnant parfois le sens
de l’intérêt général et pour encourager les entrepreneurs et les startups
à innover en créant des services numériques issus de la réutilisation de
ces données.
La Démocratie – idéal essentiel et perfectible – puise sa force dans la
construction permanente de l’État de droit et l’affirmation de droits et
libertés fondamentaux. Cela implique un arbitrage constant entre la
puissance publique, qui peut connaître des zones de secret encadrées
strictement par le législateur afin de réaliser certaines missions réga-
liennes d’intérêt général (sécurité ou défense par exemple), et les droits
des citoyens, notamment le droit de toute personne à connaître l’activité
de l’administration et à évaluer en toute liberté les politiques publiques
financées par l’argent des contribuables. L’
Open Data
s’insère dans cet
équilibre en introduisant un nouveau paradigme numérique mêlant
l’ambition du libre accès à tous aux informations, décrivant ainsi les
administrations et la vie publique avec un principe de libre réutilisation de
ces données pour toute autre fin que lamission de service public initiale.
Loin d’être isolée dans cette démarche, la France partage cette culture
de la transparence administrative avec de nombreux pays, comme les
États-Unis, la Suède, le Royaume-Uni, l’Espagne ou d’autres pays du
bassinméditerranéen confrontés également aux enjeuxmodernes de la
défiance dans les institutions ou de l’intégrité de l’action des élus. S’ins-
crivant dans la continuité de la philosophie des Lumières, la démarche
d’
Open Data
trouve un premier fondement politique dans le principe
de responsabilité des agents publics (
accountability
en anglais) prévu
à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de
1789 qui énonce que « la Société a le droit de demander compte à tout
Agent public de son administration ». L’article 14 de la Déclaration de
1789 fixe aussi le principe du consentement à l’impôt
1
qui positionne
ainsi le citoyen au cœur de toute décision publique et du contrôle du
8
(1) Article 14 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « tous les
Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi,
et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
1,2-3,4-5,6-7,8-9 12-13,14-15,16-17,18-19,20-21,22-23,24-25,26-27,28-29,30-31,...56
Powered by FlippingBook