Cahier numéro 8 - page 10-11

Mais il faut bien avouer que la dynamique engagée est encore trop
timide au regard des préjudices occasionnés par une croissance urbaine
stéréotypée, homogène et de grande ampleur qui a, au fond, peu
respecté le patrimoine urbain et social, l’identité de chaque territoire,
leur sens esthétique, ce qui fait aimer la ville où l’on vit, où l’on se sent
bien.
Il y a trois raisons qui peuvent expliquer cela et qui sous-tendent trois
questionnements différents.
La première d’entre elles relève des fortes incertitudes qui pèsent sur
les évolutions urbaines, d’une part, parce que ces dernières dépendent
des investissements que l’on peut libérer pour aménager, « économi-
ciser », revivifier les régions urbaines – et chacun sait qu’ils ne sont
plus à l’heure des grands travaux saint-simoniens ; d’autre part, et c’est
sans doute là l’enjeu majeur, parce que la ville subit de plein fouet une
série de changements profonds : changement climatique, changement
économique, changement institutionnel et changement sociétal. Si de
nombreux travaux de prospective urbaine s’intéressent et décryptent
les trois premiers, il faut bien reconnaître que ceux qui tentent de
comprendre « lemonde qui vient » - les évolutions sociétales enmarche
à pas rapides ! - restent limités, tant au niveau national qu’européen
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.
C’est pourquoi il est essentiel, sans tarder, de focaliser sur les tendances
sociétales à long terme et de faire émerger des indices (des « signaux
faibles ou forts ») qui nous renseignent sur lesmodifications initiées par
l’ensemble de notre société – du citoyen aux institutions européennes
en passant par les chercheurs, les entrepreneurs, les bénévoles -,
lesquelles sont porteuses de nouveaux modes de vie et d’action pour
régénérer la ville et sa région urbaine tout entière. Quelles seraient alors
les prémices de cette autre société vers laquelle nous nous dirigeons,
dont on pourrait déjà penser qu’elle se situe plutôt en transition qu’en
rupture avec le modèle préexistant ? Peut-on apercevoir d’ores et déjà
les forces motrices qui pourraient guider des modes de vie renouvelés,
plus respectueux des hommes et de la nature ?
La seconde considération renvoie au concept républicain « d’égalité »
appliqué au traitement urbanistique pour chaque ville/région urbaine -
depuis la reconstruction et ensuite avec les grandes lois d’orientation
foncière - et via les outils de planification et d’aménagement admi-
nistrativement normés, quels que soient le site géographique et la
constellation des acteurs locaux. Qui plus est, dans le cadre de processus
industriels reproductibles à grande échelle – à l’échelle des dimensions
de la ville justement – et sous couvert d’une toile de fond économique
également uniforme. Ce qui semble, s’agissant particulièrement des
villes, aller évidemment à l’encontre de leur spécificité urbaine séculaire,
de l’hétérogénéité de leur composition sociale, de leur rayonnement
économique, lesquels ont procédé de vagues de développement
différenciées dépendantes des conjonctures économique, financière et
démographique évoluant en des pas de temps asynchrones. D’où cette
idée, une fois que l’homogénéité s’est finalement partout installée,
de se démarquer des autres pour attirer à nouveau – alors qu’on a déjà
entamé le potentiel d’attractivité existant naturellement. Et de ce fait,
on peut légitimement s’interroger aujourd’hui sur les nouveaux leviers
d’une attractivité pour les villes. Dès lors, la piste des transformations
territoriales découlant des modes de vie qui se réinventent actuelle-
ment peut-elle engendrer un attrait pour les territoires ? Autrement dit,
en quoi les potentiels - ce capital territorial propre à chaque région éco-
nomique, humaine et naturelle – permettraient-ils une « renaissance »
territoriale, plus sereine et durable ?
Enfin, la troisième raison, sans doute la moins explorée mais certaine-
ment la plus sensible, tient au modèle de la ville-monde, véhiculé de
manière systématique dans tous les pays, et qui part du principe que
la ville appartient – au sens propre comme au sens figuré – aux classes,
emplois, modes de vie«supérieurs ». Les conséquences de cela sont bien
connues : l’installation des classes privilégiées – proportionnellement
moins nombreuses - a lieu dans un espace essentiellement confiné au
centre historique et aux « beaux quartiers » où se concentrent espaces
publics, monuments, équipements, promenades, habitations de grande
qualité patrimoniale, architecturale et urbaine ; les autres classes
sociales – beaucoup plus nombreuses - s’étalant vers la périphérie plus
« moderne », dans le sens que les fonctionnalistes accordaient à ce
terme
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.
Peut-on dès lors avancer que la « belle ville » ne se partage pas ? Que
l’accès au beau est l’apanage de l’élite et accessoirement des gens de
passage ? Et, pour essayer d’aller plus loin, quels seraient les caractères
de cette « belle ville » dont nous avons tous besoin ?
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(3) Pour les modernes du début du XX
e
siècle, la ville se base essentiellement
sur quatre fonctions qui se superposent : habiter, travailler, cultiver le corps et
l’esprit, circuler, avec - et c’est bien ce qui est en jeu ici - une définition minimum
correspondant à chacune de ces fonctions.
(2) Voir à ce sujet la démarche du MEDDE/CGDD/Mission prospective « Penser
autrement les modes de vie à horizon 2030 », initiée en 2010.
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