Cahier numéro 8 - page 14-15

à assumer. Pour revenir quelque peu à cet aspect de formation de la
société française, s’agissant de l’éducation et du savoir, deux tendances
en rupture se dessinent à horizon 2030. La première, permise par la
révolution numérique, renvoie aux formes d’apprentissage du néophyte
et de la capacité de tout un chacun à s’auto-éduquer tout au long de la
vie (« le monde vient à soi
7
»), qui se développent en parallèle et/ou en
complémentarité du modèle académique ; la seconde, davantage en
décalage avec les formes conventionnelles, a trait à « l’intelligence de
la débrouille » relatives au sous-emploi des formes d’intelligence non
académiques, à la manière de contourner les apprentissages classiques
– plus de cent mille adolescents sortent du système éducatif chaque
année – pour espérer pouvoir accéder à un mode de vie commun à tous
(troc, échanges, petits services et jobs, mais aussi économie parallèle).
On perçoit bien alors les enjeux de cohésion sociale et de portage de
valeurs communes d’intégration que comportent ces mutations du
modèle éducatif.
À une échelle plus vaste, des transformations profondes relèvent
naturellement - et de manière de plus en plus affirmée - de l’essor
des nouvelles technologies de l’information et du vivant. L’autonomie
de l’individu, portée par l’évolution des technologies, constitue une
tendance lourde de l’évolution des modes de vie. Cette autonomie
renvoie à un système de mobilité généralisée : consommation, mobilité
numérique, rapport au travail, à l’entreprise et au savoir. Elle se mani-
feste par une surabondance de réseaux et de relations qui autorisent de
nouvelles formes économiques et sociétales, et qui rendent davantage
présents les citoyens dans les sphères de gouvernance mais aussi en
marge de celles-ci. L’émergence de la société participative et contribu-
tive - en tant que société à « économie ascendante » - est manifeste
dans nombre d’expérimentations individuelles, communautaires et
collectives agissantes. Par exemple, le déploiement de plateformes
sociales de financement communautaire comme « Kick Start » ou
« Kiva » pour des micro-projets de nature écologique, économique,
humanitaire ou culturelle ; ou les « RERS », les réseaux d’échanges
réciproques de savoirs, fonctionnant à l’échelle locale – comme « Troc
savoir » à Strasbourg pour une alimentation saine avec un petit budget.
Ce faisant, pourtant, la relation « connective » remplace la relation
collective : « 
l’enjeu et le risque pour les modes de vie futurs tiennent à
la trop forte dématérialisation, à la dévitalisation de la relation sociale
dans une société elle-même digitalisée
»
8
.
Enfin, les changements de modes de vie sont fortement tributaires des
évolutions énergétiques et environnementales avancées par le Club de
Rome dès 1972, et ensuite, avec force renfort de discussions, autour
du changement climatique depuis les années 90. Après la montée en
puissance du concept de développement durable au cours des quatre
dernières décennies, on assiste à l’émergence de nouveaux modes
de pensée et d’action cherchant à réconcilier étroitement économie,
technologie, environnement et société. Ce qui a conduit récemment à
introduire les notions plus opérationnelles de transition écologique et
énergétique, de bien commun, d’économie responsable et d’entreprise
inclusive, de technologie frugale, d’innovation citoyenne, etc., tout en
évoquant de plus en plus la question de l’épanouissement personnel.
Pour preuve, on assiste à un développement important de nouvelles
formes de consommation et de marketing associées à la recherche
de modèles alternatifs : le nouveau marketing de la bonté et la figure
montante du consommateur pauvre ; les courants d’évolution post-
matérialiste initiés par « No logo » dans les années 90 aux États-Unis
et aboutissant au « freeganisme » actuel (basé sur la gratuité) ou
l’attitude locative (« Ilokyou», premier réseau de location d’objets et
de services entre particuliers). À l’échelle des entreprises, la montée en
puissance d’approches plus coopératives axées autour de l’économie
circulaire, la symbiose industrielle et la gestion efficace des ressources
9
est bien effective.
À l’horizon 2030, l’hypothèse d’évolution des modes de vie à ce
jour la plus concevable – et souhaitable - pourrait devenir celle de
« l’économie de la frugalité », au vu du foisonnement existant
d’initiatives citoyennes, entrepreneuriales, associatives, laquelle
est probablement amenée à croître de manière importante dans
les deux prochaines décennies : des formes de consommation
plus responsables et collectives, une mobilité fondée sur le
partage, l’usage et le service (économie de la fonctionnalité),
des pratiques de récupération, de recyclage et de réutilisation
des objets (économie circulaire), un développement important de
l’alimentation citadine (ceintures vivrières, agriculture urbaine
et péri-urbaine), des villes intelligentes (
smart-grids
), belles et
saines.
12
13
(7) Bruno Hérault, chef du Centre des études et prospective duMAAPRAT.
(8) Charles Wassmer, sociologue-prospectiviste, groupe de prospective « « Penser
autrement les modes de vie à horizon 2030 ».
(9) Ellen Mac Arthur, Rapport,
Vers une économie circulaire. Arguments en faveur
d’une transition accélérée
, 2012.
1,2-3,4-5,6-7,8-9,10-11,12-13 16-17,18-19,20-21,22-23,24-25,26-27,28-29,30-31,32-33,34-35,...68
Powered by FlippingBook