Cahier n° 21

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La mesure fait partie de ces éléments si familiers et quotidiens qu'on
oublie d'y penser, alors qu'ils structurent la société.
Mesurer, c'est compter . Même la chatte compte ses petits et certains
oiseaux comptent jusqu'à 5. Mesurer, c'est comparer7. La comparaison,
plus complexe que le comptage, nécessite une référence qui dit la
valeur. Cette valeur sous-tend un dispositif technique, culturel et cogni-
tif plus ou moins sophistiqué, qui décrit et matérialise cette valeur. La
comparaison repose sur un état technique. Il n'en reste pas moins que
l'acte demesurer, puis de comparer, réclame le questionnement suivant :
• Que mesure-t-on ? Quelle est la grandeur mesurée ?
• Pour quelles applications ? Avec quels objectifs et contraintes ?
• Avec quels instruments ? Avec quels modes opératoires ?
• Avec quelle référence ? Quelles unités ?
• Avec quelle incertitude ?
Bachelard, dans sa thèse de 1926, Essai sur la connaissance approchée,
écrit « Et puisque comparer, c'est énumérer les ressemblances et les
différences en qualifiant plus au moins nettement, avec un langage
plus ou moins métaphorique, les caractères distingués, la comparaison
quantitative ne nous semble pas relever d'un autre ordre de pensée que
la comparaison qualitative. La mesure apporte simplement avec elle la
facilité de comparaison qu'elle tient du langage mathématique dans
lequel elle s'exprime. »8
Considérons la mesure comme un concept, et voyons dès lors quel flou
l'entoure. Dès que l'on cherche à se représenter la mesure, un enchevê-
trement de sens, une diversité de possibles et d'inachevé, se proposent
à notre esprit. Nous commencerons par demander à l’étymologie de
nous éclairer sur la notion de mesure et de montrer l'origine commune
de la mesure, du bien-être et donc de la santé.
Étymologie
C'est avec Nicole Édouard que nous avions cherché, vérifié et conclu
avec un certain étonnement que « mãa* » serait la racine sanskrite du
mot mesure. D'où maya, l'illusion et la magie.
Ce même radical évolue en « mé* », puis « med * », «met* », « mens* »,
« ment* », « mod* », etc. Soigner, remédier, guérir, gouverner, penser,
réfléchir, mesurer, peser, juger, méditer, équilibrer, imaginer, inventer,
évaluer, estimer, compter, dénombrer, énumérer, signifier… Tous ces
termes sont actifs dans le champ de la mesure.
Chaque terme ayant un champ sémantique particulier, on ne peut
qu'admirer la constellation conceptuelle du mot mesure.
Notons que dans le Vocabulaire international de métrologie - Concepts
fondamentaux et généraux et termes associés (VIM)9 , au paragraphe2.1,
leterme«mesure»estproposécommesynonymeduterme«mesurage».
Les modèles, systèmes, dispositifs, résultats et incertitudes de mesure
y sont mentionnés. L'incertitude demesure, essentielle et fondamentale
pour toutes les métrologies, est parfois difficile à calculer.
Lapremièredéclinaisonde mé* sembleêtre le radical med*. D'oùmédecin,
médical, méditer. Magie, médecine, divination, réflexion, observation,
savoir-faire, mesure et équilibre, tels sont les termes qui qualifient
les anciennes pratiques médicales. Là où l'exorcisme fait appel aux
dieux, la médecine apporte la connaissance des maux et le savoir-faire
technique. Dans les médecines traditionnelles orientales, le bien-être,
la santé nécessite un équilibre entre le corps, l'esprit et les éléments.
En Grèce antique, l'harmonie des individus donne l'unité du cosmos. La
maladie est une rupture de cette parfaite organisation. Le magicien ou
« pharmakon » administre les médicaments.
Considérons le verbe « medeor » et son double sens : guérir un corps
malade, (redonner équilibre et santé), et gouverner une société désor-
ganisée (administrer et préserver la prospérité générale et l'équité
sociale).
Maât, mesure, confiance, ordre et équité
La longévité de la civilisation pharaonique repose depuis l'origine sur le
concept de « maât » qui exprime tout à la fois la mesure , la confiance,
l'ordre et l'équité. Pour rendre « maât » intelligible et efficace pour chacun
et pour tous, le concept est déifié et prend de la hauteur dans une orga-
nisation symbolique puissante qui durera plus de trois millénaires.
(7) Marc Himbert,
(8) Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1927, pp. 50-51 . (9)