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Cet Entretien Albert-Kahn nous a permis de dresser un portrait large,
bien que non exhaustif, de ce qui se passe en matière d’innovation
publique à différents échelons territoriaux. Nous avons invité différents
acteurs publics à venir partager avec nous leur manière d’aborder
l’innovation publique et de la pratiquer.
Bien que la diversité d’approches et de styles d’innovation soit réelle,
elle laisse apparaître un certain nombre de convergences. La première
est le droit à l’erreur. On ne peut entreprendre, encore moins susciter
l’innovation sans accepter la prise de risques. L’innovation s’accom-
pagne nécessairement d’expérimentations et toutes n’aboutissent pas.
L’État aun rôle à jouer dans cedomaine, comme«
passeur d’innovations
»
pour reprendre l’expression de Benoît Landau. Cela veut dire qu’il doit
lui aussi se transformer : transformer ses pratiques, en s’appuyant
sur le digital, en favorisant les démarches participatives, l’idéation et
l’expérimentation.
«
Les administrations doivent se sentir mortelles
» nous dit Reynald
Chapuis. Cela signifie qu’elles doivent aussi se remettre en cause et
changer leurs postures. Cela passe par le développement de parcours
« usagers ». Cela nécessite d’utiliser de nouvelles techniques comme les
«
nudges
»ou les «
persona
», en travaillant demanière plus transversale
en interne. Mesurer l’impact des actions de manière systématique et
développer la rigueur d’évaluation doivent aller de pair.
Les démarches d’innovation publique sont toujours issues d’une volonté
politique à plus haut niveau. L’innovation répond à une « commande
publique » comme nous le rappelle Carine Saloff-Coste. Dans le cas de
la Mairie de Paris, cela passe par le souhait d’impliquer encore plus les
citoyens, les agents devenant des « coproducteurs » de solutions. On
est loin de la démarche descendante et hiérarchique d’autrefois ! Les
expérimentations en matière de budget participatif des citoyens vont
encore plus loin dans les démarches participatives.
Dans le cas duThinkLabde laRégion Île-de-France, on remarque comment
les experts sont sollicités pour nourrir la réflexion prospective de la
Région et son schéma directeur.
Pour les administrations, la question des talents est importante. Elles
restent encore l’apanage de quelques-uns, qui sont plus à l’aise à
innover que d’autres. Mais l’innovation, c’est aussi et surtout créer les
conditions pour que les agents puissent travailler efficacement. C’est
un enjeu pour toutes les organisations.
En matière de déploiement de l’innovation, la question du changement
d’échelle est capitale, mais pose de nombreuses questions encore
sans réponses. Comme l’indique Benoît Landau, l’essaimage nécessite
d’autres compétences que l’innovation. Nous avons besoin de déployer
des initiatives qui, à petite échelle, connaissent un succès. Cependant,
le déploiement passe par l’implication d’un bien plus grand nombre
d’acteurs. Les acteurs publics peuvent aider à mailler plus largement
leur territoire, en organisant et cédant, par exemple comme à Paris, la
collecte du textile à un seul opérateur pour qu’il puisse atteindre une
échelle de rendement suffisant.
Enfin, l’innovation rime également avec l’anticipation. Côté politique
publique, l’émergence de l’économie collaborative à «
la rentabilité
très différente
» comme nous le rappelle Carine Saloff-Coste ainsi que
l’essor du digital et des nouvelles entreprises comme Airbnb ou Uber
nécessitent un accompagnement de l’acteur public qui doit chercher
pour trouver le juste niveau de réglementation. C’est aussi comme
nous l’expose Véronique Volpe, une nécessité pour l’acteur public de
se situer dans la complexité, de décider en connaissance de cause
pour détourner des évolutions en cours. Les exemples dans le domaine
du numérique, de l’intégration économique et de la qualité de vie en
région Île-de-France sont très symptomatiques des enjeux à venir.
À ce jour, l’innovation publique reste l’apanage des organisations
pionnières, en particulier celle des collectivités territoriales, mais l’on
peut s’attendre à ce qu’elle se développe conséquemment dans les
années à venir.
Carine Dartiguepeyrou
Secrétaire générale des Entretiens Albert-Kahn