Comment expliquer la persistancede cet engouement pour un sujet aussi
peuunivoque ? Sans douteparcequ’il est deplus enplus difficiled’obtenir
l’engagement personnel des salariés dans leur travail. Aujourd’hui, rares
sont ceuxqui pensent que la loyautéet l’effort durabledes collaborateurs
s’obtiennent par la rémunération. Par ailleurs, l’intérêt grandissant pour le
«bilan triple
11
» remet en cause le principe de la rentabilité commeunique
finalité pour intégrer de nouveaux facteurs sociaux et environnementaux.
Ce regain d’intérêt pour le leadership est donc intimement lié aux évo-
lutions du monde et de nos sociétés. Ainsi, les vicissitudes, incertitudes
et autres inquiétudes générées par les nouvelles complexités du monde
moderne ne sont pas étrangères à ce phénomène.
En substance, lorsque les changements s’accélèrent, que le futur devient
anxiogène et que la défiance envers les institutions se généralise, le
besoin de leadership s’intensifie. Un tel besoin se retrouve dans les
situations extrêmes, lorsque les chances de s’en sortir incitent à confier
sa destinée à la personne qui semble la plus légitime. Les équipages
des voiliers le savent bien. Lorsque les conditions de navigation sont
clémentes, le besoin de démocratie à bord est souvent ressenti comme
une évidence. Mais tout semble s’inverser à mesure que les conditions
se dégradent et que le danger augmente. L’autoritarisme du capitaine qui
prend des décisions seul, en son âme et conscience, peut alors apparaître
comme tout à fait approprié, voire indispensable.
Le changement a changé
« Nous vivons à un âge
déraisonnable
où les
environnements changent constamment,
le plus souvent de façon
imprévisible
et
discontinue
»
Charles Handy,
The age of unreason
Si l’évolution actuelle de notre monde fascine notamment par l’ava-
lanche de progrès techniques accessibles à toujours plus d’individus, il
inquiète aussi par l’ampleur des défis économiques, démographiques,
sociaux, environnementaux et éthiques qu’il soulève. Sous la triple
influence de l’accélération des évolutions technologiques, démogra-
phiques et financières, notre monde est en pleine mutation. À l’échelle
géologique, nous serions en train de passer de l’époque holocène (la
terre conditionne la vie humaine) à l’époque anthropocène (où l’activité
humaine conditionne la terre)
12
.
À l’échelle organisationnelle, les conséquences de cette mutation sont
plus ou moins dicibles. Socialement, les grammaires comportementales
continuent de se complexifier sous l’influence de nombreux facteurs.
Par exemple, en allant vers un monde toujours plus cosmopolite et
moins phallocratique
13
, les questions de diversité constituent de
véritables défis pour les dirigeants comme pour les managers. Autre
exemple, l’accélération du temps et la synchronisation des expériences
à l’origine d’une réduction significative du temps disponible pour la
réflexion, la contemplation et l’empathie
14
. Dernier exemple, l’omni-
interactivité des acteurs à l’origine du grand bavardage où n’importe qui
doit pouvoir dire et entendre n’importe quoi sur n’importe qui d’autre,
n’importe comment
15
. Dans cemonde omni-interactif, la communication
est plus que jamais un enjeu social et stratégique.
Impératifs numériques
« Internet comme la première chose construite
par l’humanité que l’humanité ne comprend pas…
La plus grande expérience en
anarchie
que nous n’ayons jamais vécue. »
Eric Schmidt
PDG de Google – 2001-2011
Le regain d’intérêt pour le leadership est également suscité par un
phénomène identifié dès les années 1960 par Hannah Arendt
16
: le
déclin progressif de l’autorité traditionnelle. En France, comme dans
d’autres pays occidentaux, ce déclin est constaté par nombre de phi-
losophes, sociologues et psychiatres
17
. Il se manifeste par un rejet
progressif de l’autorité de l’État, de l’armée, de la police et de l’Église. Les
structures hiérarchiques pyramidales sont critiquées, dans la famille, les
écoles, les entreprises et dans les administrations. Face à ce constat, la
thématique du leadership offre la possibilité d’explorer de nouvelles
formes d’autorité non coercitives capables d’obtenir un engagement
fort et durable allant d’une équipe à tout un corps social.
12
13
(11) Elkington J.,
Cannibals with Forks
, Captstone (1997).
(12) Lorius C. et Carpentier L.
Voyage dans l’Anthropocène : Cette nouvelle ère dont
nous sommes les héros
, Actes Sud Éditions (2013).
(13) Beck U.,
Cosmopolitan Vision
, Polity Press (2006).
(14) Hassan, R.,
The Chronoscopic Society: Globalization, Time and Knowledge in
the Network Economy
, Peter Lang (2003).
(15) Scaramuzzino B.,
Parole Donnée Dopée Sacrée Profane Civilisatrice
, L’Harmat-
tan (2012)
(16) Arendt H.,
La Crise de la culture
, Gallimard (Ed.1968 - 1989).
(17) Cf : Renaut,
La Fin de l’autorité
, Flammarion (2009) ; Tavoillot P.-H.,
Qui doit
gouverner
?, Grasset (2011) ; Mendel G.,
Une histoire de l’autorité
, La Découverte
(2006).