3. L’enfer est pavé de bonnes intentions
L’engouement historique pour le leadership est donc exacerbé par une
intensification des incertitudes anxiogènes quant à l’avenir du monde
mue par une accélération des changements et une plus grande difficulté
à comprendre la « chose sociale » dans les organisations. Cette situa-
tion offre de réelles opportunités aux professionnels du management
pour proposer de nouveaux modèles d’organisation et de gestion des
compétences. Si l’objectif de ces modèles est généralement de réussir
la synthèse entre « performance économique » et « harmonie sociale »,
les moyens pour y arriver diffèrent sensiblement. De façon un peu
caricaturale, on peut même les classer selon deux grandes catégories :
ceux faisant l’apologie de l’hyper-rationalisation de l’organisation du
travail et ceux faisant l’éloge de la déhiérarchisation. Sans douter de
la sincérité de leurs intentions, ces approches sont-elles vraiment
efficaces et souhaitables ?
L’irrationalité de la rationalité
L’envie de rationaliser le travail au point de créer l’organisation parfaite
n’est pas nouvelle. Mais les technologies de l’information et de la com-
munication offrent des possibilités inégalées en termes de captage de
données, de traitement automatique de l’information et de production
d’outils d’aide à la décision. On peut alors parler d’hyper-rationalisation.
Pour y parvenir, toute une industrie est à l’œuvre. Parmi les acteurs
de cette industrie on trouve des éditeurs d’ouvrages
18
et de logi-
ciels, des sociétés de conseils ainsi que des écoles d’ingénieurs et
de management proposant enseignements, recherches et formation
« executive ».
La rationalisation par les « boîtes à outils »
« - Les
16
facteurs de motivation
- Les
8
étapes du changement
- Les
4
types de culture
- Les
5
pièges du pouvoir
- Les
6
étapes de la négociation
- Les
7
étapes du plan d’action »
La boîte à outils du Management
, Dunod
« - Les
4
cercles du leadership
- Les
5
étapes du développement
- Les
3
composantes de l’estime de soi
- Les
10
leviers de l’influence
- Les
6
options stratégiques
- Les
7
degrés d’intelligence émotionnelle »
Testa JP. et Lafargue J.
La Boîte à outils du leadership
, Dunod (2013)
Les acteurs engagés dans cette course à l’hyper-rationalisation du travail
ont en commun l’idée selon laquelle l’action collective et le leadership
sont des pratiques objectivables, mesurables et développables au
même titre que n’importe quel autre processus industriel. Par exemple,
en objectivant les comportements et les méthodes de management
des leaders performants, il est possible d’identifier des fondamentaux
permettant d’élaborer des indicateurs quantitatifs de performance (ICP).
Grâce à ces ICP, il sera ensuite possible d’étalonner, demesurer et même
de prédire les capacités d’un manager à exercer un « leadership » dans
l’absolu ou dans certaines circonstances préétablies. Le leadership et
l’action collective prennent alors l’apparence d’un sujet scientifique et,
à ce titre, justifient la présence d’experts capables d’en optimiser les
effets.
Le fétichisme des Indicateurs clefs de performance (ICP)
McDonaldisation des organisations
Le paradoxe de l’approche hyper-rationnelle est sa propension à l’irra-
tionalité. Telle une idéologie, elle agit comme un système de pensée
organisé conditionnant l’action. Un des principes de cette idéologie est
le suivant : seulement ce qui peut être mesuré s’améliore et si on ne
peut mesurer précisément, il faut mesurer plus souvent. Le drame de
14
15
(18) Cf : Testa J.-P. et Lafargue J.,
La Boîte à outils du leadership
, Dunod (2013).
. Parts de marché
. Marge brute
. ROI
. Turnover des effectifs
. Statistiques
comportementales
. Indicateurs d’application
des
best practices
Bonnes intentions
Bonne gestion
Risque de micro-management
Dictature de l’expert