le fait Jacqueline de Romilly qui essaye d’enrichir l’instant présent de tous
ceuxquileprécèdentaulieuqu’ilsevidepareuxdesasubstanceprofonde.
C’est un exercice plus complexe qu’il n’y paraît celui qui consiste à se
souvenir, et à inscrire la relecture de sa vie dans le présent pour envisager
plus sereinement son avenir. C’est un geste d’artiste.
Ce tissage des liens entre passé et présent, cette compréhension de
l’ensemble d’un parcours avec toutes les décisions qui l’ont scandé, ce
travail d’artiste, c’est peut-être François Jacob (prix Nobel de médecine
1965) qui en parle le mieux, lui qui voit sa vie «
comme une suite de
personnages différents, je dirais presque d’étrangers. Au bout de la
file, j’aperçois le petit garçon, l’enfant unique cajolé par une mère très
douce...
»
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. Puis il évoque le militaire, le jeune homme amoureux, le
scientifique… «
J’ai du mal
, dit-il,
à imaginer qu’à l’appel de ce nom,
François Jacob, tous ces personnages aient pu se lever d’un même élan
et répondre : présent.
»
Il clôt cette interrogation sur changement et continuité par ces lignes :
«
Je porte en moi, sculptée depuis l’enfance, une sorte de statue inté-
rieure qui donne une continuité à ma vie, qui est la part la plus intime,
le noyau le plus dur de mon caractère. Cette statue je l’ai modelée toute
ma vie. Je lui ai sans cesse apportée des retouches. Je l’ai affinée, je l’ai
polie.
» Ou plutôt, chacun des personnages qu’il a successivement été
l’a affinée et polie. Jacqueline de Romilly lui rappellerait que c’est le Grec
Plotin qui a le premier parlé de la statue intérieure. Statue qui offre un
socle, un sentiment de permanence qui permet à travers les déliaisons
de l’âge (déliaisons physiques du corps qui lâche, psychiques de la
mémoire qui quelquefois trahit, sociales avec la souffrance du décès des
pairs d’âge) de garder un sentiment d’intégrité. Chaque décision, chaque
choix sculptent tout au long de notre vie notre statue intérieure. Et c’est
parce qu’elle continue à sculpter cette statue que Jacqueline de Romilly
décide, à quatre-vingt-dix ans passés, quasi-aveugle, de changer ses
rideaux.
Bernadette Puijalon
Docteur en anthropologie sociale
et sociologie comparée
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(20) François Jacob,
La statue intérieure
, Odile Jacob, 1987.
39
Synthèse
prospective
Carine Dartiguepeyrou