Previous Page  34-35 / 50 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 34-35 / 50 Next Page
Page Background

33

32

Temps, décision

et vieillesse

Bernadette Puijalon

Âgée de plus de quatre-vingt dix ans, l’académicienne Jacqueline de

Romilly doit prendre une décision qu’elle juge difficile : changer ou non

les rideaux de son salon parisien ? À son âge ? Avec une vue défail-

lante, est-ce raisonnable, souhaitable ? Dans la dernière nouvelle de

son recueil

Les Roses de la solitude

15

, elle pèse le pour, le contre, et

ce faisant, nous offre une promenade dans différentes dimensions de

son rapport au temps. Promenade sur laquelle je vais m’appuyer pour

aborder la question du vécu du temps dans l’âge de la vieillesse, en lien

avec la question de la décision. Quel intérêt à aborder le sujet sous cet

angle quand on n’est pas vieux soi-même ? Parce que ces dimensions du

rapport au temps existent à tous les âges, mais que c’est dans le grand

âge que se précise la conscience que nous en avons. Quand grandit le

besoin de sortir de la confusion entre la façon dont le temps se présente

à nous dans sa forme empirique de continuité et son vécu qui se révèle

hétérogène, multiple, contradictoire.

Première considération de Jacqueline de Romilly dans son hésitation : le

plaisir qu’elle éprouve chaque soir à fermer sa fenêtre, tirer ses rideaux

pour se retrouver dans, dit-elle«

l’intérieur bien clos qui est mon univers

» :

«

C’est le soir : on ferme !

(…)

J’allume les lampes

». La pièce l’accueille,

elle s’y sent «

protégée de tout.

» Elle parlemême de son «

soulagement

étonnant à entendre le bruit amical des anneaux qui glissent sur les

tringles.

» Amical en effet ce temps du quotidien, de la circularité où

les soirs succèdent aux soirs et où les gestes répétés comme autant de

rituels, « ces habitudes modestes mais chères » parlent de la longue

durée, de l’éternel retour.

Elle poursuit son argumentation : Se faire faire des rideaux, «

comme

lorsqu’on rentre dans la vie et que tout commence

». «

Agir enfin, à

mon âge, selon ma propre décision et mon propre choix

». Changer

ses rideaux c’est en quelque sorte faire ses débuts dans la vie d’adulte

«

un peu tard, à n’en pas douter !

». Elle qui croule sous les diplômes et

distinctions, parle de « premier examen ». C’est aussi un des derniers !

(15) Jacqueline de Romilly, Changer ses rideaux in

Les Roses de la solitude

, Ed. de

Fallois, 2006.