Cahier numéro 9 - page 18-19

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d’autre part, que les politiques publiques pensées domaine par domaine
soutenaient les personnes subissant une précarité, mais dès que des
personnes subissaient plusieurs précarités ces politiques publiques,
non coordonnées, ne fonctionnaient pas. Elles n’atteignaient donc pas
leur but.
Le rapport concluait que pour s’attaquer au noyau dur de la pauvreté, il
fallait construire nationalement et localement des politiques globales,
cohérentes et prospectives par opposition aux politiques souvent par-
tielles, contradictoires et à court terme.
À la suite de ces deux rapports et d’unemobilisation large de l’ensemble
des associations, la loi d’orientation contre les exclusions de juillet 1998
a donné un cadre général et une orientation qui ont commencé à renou-
veler profondément la pensée et les pratiques.
3. Vers la cohérence des politiques
et la coopération entre les acteurs
Le rapport De Gaulle-Anthonioz a montré que des politiques publiques
incohérentes fragilisaient encore plus les familles les plus défavorisées
et étaient contre-productives. Il reste bien du chemin à faire. Étudions
rapidement deux exemples de non-cohérence et leurs conséquences
pour montrer que ce n’est pas inéluctable.
Les politiques d’éducation, de soutien à la parentalité et de protection
de l’enfance
Une des raisons majeures de la pauvreté est la privation d’emploi,
privation directement liée à la faiblesse des acquisitions scolaires et de
la formation. De plus, le fait de grandir dans unmilieu défavorisé est très
fortement corrélé à l’échec scolaire. En France, le taux d’échec scolaire
est le plus haut de l’OCDE et le seul pays où la corrélation continue
d’augmenter ces dernières années. On voit bien ici un cercle vicieux
s’ériger.
Aussi des politiques publiques se sont mises en place avec de gros
efforts pour que les enfants et les jeunes défavorisés soient plus
soutenus par l’école (Zones d’éducation prioritaires) ; les parents sont
aidés pour soutenir leurs enfants (REAAP, Réseau d’écoute, d’appui, et
d’accompagnement des parents) ; enfin, les enfants sont directement
aidés, en particulier par les départements (Aide sociale à l’enfance).
Mais ces trois efforts sont peu coordonnés, voire contradictoires. Ainsi,
un projet expérimental entre ATD Quart Monde, l’Éducation nationale et
lamairie de Rennes s’est avéré très positif : dans des écoles, un « espace
parents » permettait de réfléchir à leur rôle dans l’éducation, de mieux
dialoguer avec les enseignants au lieud’en avoir peur et ainsi de retrouver
confiance en eux. En parallèle, dans la même école, un espace pour les
enseignants leur a permis de sortir du conflit chronique avec les parents,
souvent interprété comme du mépris, et d’apprendre à coopérer avec
eux. Cette expérience se fonde sur l’observation qu’un enfant dont les
parents et les enseignants sont en conflit et ne se comprennent pas,
vit un conflit de loyauté et une dissonance cognitive qui l’empêchent
d’apprendre en paix.
Dans le quartier le plus pauvre de Rennes, cette expérience de dialogues
collectifs parents enseignants, évaluée par l’université, l’académie et
la mairie, a prouvé son efficacité sur la paix à l’école et la réussite des
enfants. Pour autant cette expérience n’a jamais pu être reconnue
comme faisant partie des réseaux de soutien à la parentalité, du fait
qu’elle semblait de l’ordre de l’Éducation nationale. D’autre part, des
interventions de l’Aide sociale à l’enfance ont ignoré cette expérience
et plusieurs fois failli détruire la confiance qui commençait à renaître
entre enfants, parents et école, en considérant à nouveau les parents
comme des incapables.
Les exemples abondent où Aide sociale à l’enfance et école ne coo-
pèrent pas ; les parents se trouvent dans des tensions intenables, de
même que des enseignants peuvent se trouver face à des enfants
confiés à l’Aide sociale à l’enfance sans clés de compréhension, créant
encore plus de rejet de ces enfants. Inversement, la loi de 2008 sur la
protection de l’enfance prévoit que soit établi un projet pour l’enfant
entre parents et professionnels, mais peu osent le faire et l’Éducation
nationale n’est presque jamais concertée. Ainsi, alors que pour la plupart
des enfants la priorité est mise sur l’école, les enfants les plus démunis
sont traités différemment, d’abord considérés comme à protéger – ce qui
sous-entend à protéger de leur milieu.
En 2013, le rapport Versini-Madignier (respectivement ancienne
défenseure des enfants et président d’ATD Quart Monde), dans le cadre
du programme pluri-annuel de lutte contre la pauvreté, préconise que
plutôt que de voir, d’un côté, la protection de l’enfance et, de l’autre,
l’Éducation nationale, il faudrait penser promotion et développement
de l’enfance avec tous les acteurs, dont les premiers intéressés : les
enfants et les parents.
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