Ces questions sont d’autant plus complexes qu’elles sous-entendent, au
moins partiellement, la reconnaissance institutionnelle d’initiatives qui
se déploient le plus souvent en dehors de l’institution, voire contre elle.
Les (biens) communs : outils de mobilisation
collective et leviers de l’action publique ?
Depuis moins d’une dizaine d’années, la notion de communs semble (re)
structurer desmobilisations parfois anciennes autour de la réappropria-
tion citoyenne de l’action politique, à partir des notions de partage,
d’engagement, de coproduction : «
Les communs ont jusqu’ici surtout
été abordés sous des aspects économiques et juridiques et commencent
seulement à questionner la dimension territoriale, notamment parce que
les formes de citoyenneté qui sous-tendent l’action des collectifs autour
des communs renouvellent les fondements de la démocratie participative
et le sens de la référence au territoire
»
11
. Cet argument du festival
« Le temps des communs » agrège une convergence de postures qui
s’appuient sur la notion de commun pour réorganiser la gouvernance de
la chose publique à partir de sa constitution en biens communs. Et lemot
lui-même agit comme une « bannière » derrière laquelle se retrouvent
desmouvements souhaitant mettre en avant la coproduction de l’action
publique. Cette approche est massivement investie par des mouve-
ments de
commoners
. Si certains cherchent à rompre avec la démocratie
représentative, d’autres souhaitent inclure « experts » et « élus » dans
de nouvelles formes de gouvernance. Inversement, l’intérêt des acteurs
publics (collectivités territoriales, laboratoires d’innovation publique,
etc.) pour les communs est croissant. Se dessinent ainsi des lignes qui
convergent vers un objectif commun mais qui laissent ouvert un vaste
chantier de mise en œuvre.
En conclusion, on redira que passer d’une notion normative et descriptive
à une notion plus prescriptive, voire performative, a des conséquences
sur l’action publique. L’évolution de la notion traduit la volonté de
renouveler les outils de gouvernance collective, en dépassant l’alter-
native privé/public, et en établissant de nouvelles règles pour articuler
démocratie participative et démocratie représentative. Le rôle des
collectivités se trouve déplacé vers celui «
d’institutions hôtes pour un
dialogue citoyen plus large et plus solide en matière de conception et
de mise en œuvre des politiques publiques
»
12
, avec pour conséquence
qu’elles sont davantage garantes des biens communs que gestionnaires
de ceux-ci.
L’expérience de Bologne :
instituer la ville comme commun
Le
Règlement sur la collaboration entre les citoyens et l’administration
pour la gestion et la régénération des communs urbains
13
est une charte
publiée en 2014 par laquelle la ville de Bologne (Italie) organise la
collaboration entre la municipalité et les communautés (d’un citoyen à
une association). Cette charte institue la légitimité des citoyens à inter-
venir sur l’espace public, elle permet de formaliser et de sélectionner les
projets des habitants, elle détermine des règles communes, elle fixe les
responsabilités de chacun, comme elle fixe les modalités d’évaluation
des actions. La charte de Bologne détermine ainsi un ensemble de
principes, similaires à ceux définis par Elinor Olstrom, pour la production
d’une gouvernance nouvelle où les habitants sont associés à la gestion
de la ville instituée comme commun.
Ludovic Viévard
Philosophe
14
15
(11) Argument du festival « Le temps des communs » à l’occasion de la présen-
tation de la rencontre « Faire la ville en (biens) communs » du 10 octobre 2015.
http://villeencommuns.sciencesconf.org. Consulté le 16 novembre 2015.
(12) David Bollier, La Renaissance des communs,
op. cit
., p. 146.
(13)
Le Regolamento sulla collaborazione tra cittadini e amministrazione per la
cura e la rigenerazione dei beni comuni urbani
. [En ligne] :
http://www.comune.
bologna.it/sites/default/files/documenti/REGOLAMENTO%20BENI%20COMUNI.pdf. Consulté le 16 novembre 2015. La version anglaise est également disponible
en ligne :
http://www.comune.bologna.it/media/files/bolognaregulation.pdf.