Il y a une tension intéressante entre la dématérialisation, et donc une
certaine déterritorialisation liée au numérique, et l’activité spatiale d’un
territoire car dans le premier cas, on est dans le domaine des liens tandis
que dans l’autre, on est dans celui des flux (Christophe Aguiton).
Le numérique entraîne avec lui un questionnement sur la nature de
l’interactivité. Il ouvre à la multitude, à la déterritorialisation. Il favorise
la transversalité et l’horizontalité plutôt que la verticalité. Le pouvoir se
meut dans les interstices et à la marge.
De nouveaux modèles économiques se développent comme le web
2.0 qui permet de développer une logique de « mash-up » (Christophe
Aguiton). On se trouve dans une superposition de modèles écono-
miques plus traditionnels (comme le modèle de coopération verticale
entre acteurs), nouveaux (comme le modèle d’un gros acteur qui
polarise autour de lui des petites et moyennes entreprises) et ceux qui
restent à être confirmés autour de la collaboration, du partage et de la
contribution. Qu’est-ce que la gestion des données personnelles par
des entreprises comme eBay, Amazon ou Google va donner ? Cela reste
encore à déterminer.
Dans ce contexte, l’expérience de « La Cantine » à Paris en passe de
devenir le Grand Lieu Intégré d’Innovation constitue une solution de
troisième lieu, entre lamaison et le bureau (Christophe Aguiton). L’enjeu
est bien d’accompagner les nouveauxmodes de travail en favorisant des
lieux de partage, d’échange voire de co-création qui permettent à des
personnes de tout statut (entrepreneur, salarié, chômeur) de travailler
dans un cadre numérique opérationnel. Penser en termes d’écosystème
devient une nécessité.
Dans cette mutation technologique, la dimension culturelle est essen-
tielle. Pour Serge Tisseron, la culture de l’écran facilite l’adaptation par
excellence. Elle est fluide par opposition à la culture du livre qui est
cristallisée. Toutes les deux sont nécessaires et complémentaires.
À l’ère des tribus et de la personne plurielle (Michel Maffesoli), nous
sommesmulti-identitaires (Serge Tisseron). La culture de l’écran permet
de nous raconter aux autres d’une autre manière, on partage avec une
communauté d’intérêt et donc parfois avec un plus grand nombre, une
part de soi que l’on ne communiquerait peut-être pas autrement.
Pour Serge Tisseron, l’école doit préparer à la fois à la culture du livre
mais aussi à celle de l’écran. La culture du livre est importante car elle
permet de développer les repères narratifs et temporels. La culture de
l’écran offre la capacité de faire face à l’imprévisible, de nouer des liens
à distance, de développer sa créativité et les controverses.
L’Open data, Wikipedia ou OpenStreetMap sont des exemples d’intérêt
général (Christophe Aguiton). La disparition potentielle de la frontière
entre vie privée et vie publique ou la surveillance obligée montrent de
fait qu’il existe également des risques éthiques à l’opportunité qu’offre
le numérique.
La culture de l’écran est aussi un pari de «
laisser les cartes ouvertes
pour créer et favoriser l’intelligence collective
» (Serge Tisseron). Elle
oblige le politique à lâcher prise par rapport aux effets imprévus que
peut entraîner la mise enœuvre de projets.
Apprendre à apprendre émerge comme un point commun à l’ensemble
des orateurs. Apprendre à apprendre aux pédagogues, apprendre à
apprendre pour soi et pour les autres.
Il ressort de cette rencontre que le numérique ne détermine pas ce que
l’on en fait. La mutation technologique peut amener le pire comme le
meilleur. Il reste encore de la place pour l’humainmais celui-ci ne doit pas
évacuer les risques potentiels et surtout rester au cœur de l’innovation.
Le dialogue doit demeurer ouvert.
Carine Dartiguepeyrou
Secrétaire générale
des Entretiens Albert-Kahn
38
39