de cet univers et, après avoir survolé l’origine de la culture spécifique de
cemilieu, nous essayerons demieux comprendre les cadres qui sont à la
source de l’innovation à l’heure du web 2.0.
Dans les technologies de l’information (TI), deux modèles d’innovation
coexistaient : un modèle d’entreprises travaillant sur des logiciels pro-
priétaires et un autre, basé sur le logiciel libre, organisée autour de la
coopération et du caractère cumulatif des améliorations et inventions
apportées aux logiciels, ceux-ci étant considérés comme des biens
communs. Même dans le modèle basé sur les logiciels propriétaires, la
collaboration entre entreprises a toujours existé. La raison même du
foisonnement d’innovations dans le secteur des TI tient en effet au pro-
cessus permanent de co-innovation qui demande une chaîne d’acteurs
pour transformer les outils génériques des TI en applications pour
l’utilisateur final. Mais, pour les acteurs importants, cette coopération
se situait sur un plan vertical, à l’exemple de la collaboration historique
entre Intel et Microsoft. Dans ce cadre, la concurrence est féroce entre
acteurs de même niveau qui cherchent à garder le contrôle sur leurs
applications propriétaires. Ce modèle aura été suivi jusqu’à la fin de la
bulle Internet des années 1990 dont les start-ups ont constitué le cadre.
Le développement de ce que l’on appelle aujourd’hui le « web 2.0 » fait
émerger un modèle d’innovation différent à la fois de celui qui s’est
développé dans le monde des logiciels propriétaires des entreprises et
de celui de la coopération forte des acteurs du logiciel libre. La différence
avec le modèle des entreprises tient à l’introduction d’une coopération
horizontale entre acteurs de même niveau. Les services du web 2.0
sont tous basés sur le principe de l’ouverture des API (
Applications
Protocol Interface
), ce qui implique une bien meilleure « coopération »
entre services que la simple interopérabilité qui permettait à tous les
ordinateurs de lire des textes écrits sous Mac, Microsoft ou Linux. Les
mashup
(application web qui combine des contenus venant de sources
différentes) sont les symboles d’un web 2.0 dans lequel chaque service
s’enrichit du contenu venant d’autres services. Un des exemples est
la présentation sur une carte Google de la localisation géographique
des vendeurs eBay de voitures ou de meubles ; une application utile
pour l’utilisateur final qui utilise les données fournies par un acteur du
web (Google et ses cartes) et les données fournies par les utilisateurs
eux-mêmes grâce à un service qui les agrègent (eBay) ; une application
profitable à Google et à eBay car elle accroît leur audience. Et même si
les concepteurs de services web 2.0 n’apprennent qu’
ex post
si l’ou-
verture de leurs API les aidera à accroître leur audience, ils connaissent
l’écosystème dans lequel leur service sera utilisé et ils savent que rendre
simple l’accès à d’autres acteurs est toujours utile. L’importance que
joue aujourd’hui la production massive de contenus par les utilisateurs
encourage les acteurs à partager leurs données afin de bénéficier des
effets d’externalités produits par les autres services.
La majorité des applications web 2.0 ne sont pas intégralement en
logiciel libre. Elles sont basées sur des briques de logiciel libre et leurs
concepteurs sont immergés dans cette culture. Mais il faut se souvenir
que, dans une première phase, les développeurs du libre se sont inté-
ressés aux couches basses des logiciels, comme Apache, le serveur de
sites web le plus utilisé, ou le système d’exploitation Linux, laissant
les applications finales aux entreprises. La vague du web 2.0 marque
à ce titre un tournant important avec une conséquence immédiate :
les développeurs ne peuvent plus vivre entre eux, avec leur langage
ésotérique et leurs pratiques pour initiés ; ils construisent maintenant
des couches hautes, des logiciels d’applications utilisés directement par
le grand public et, pour cela, ils ont besoin de designers, de graphistes,
voire de marketeurs, de sociologues ou d’économistes.
Ces différents éléments ont favorisé le développement sur la côteOuest
américaine, et singulièrement à San Francisco, d’un écosystème inno-
vant qui présente des traits sensiblement différents de celui qui avait
fait le succès de la Silicon Valley à l’époque de la «NewEconomy » et de
la bulle Internet. Outre le recours fréquent au logiciel libre, on observe
une atténuation des facteurs de compétition entre les acteurs au profit
de forme originale de coopération. Une des manières d’illustrer ces
caractéristiques est de s’intéresser aux espaces collectifs initiés par les
acteurs pour favoriser unécosystème innovant. Deuxdispositifsméritent
à cet égard un regard spécifique, les
barcamps
et les c
oworking places
.
Les
barcamps
constituent la meilleure illustration des effets de la
coopération faible mais horizontale dans le processus d’innovation.
Le premier
barcamp
a eu lieu à Palo Alto, à côté de San Francisco, en août
2005. En moins d’une semaine plus de deux cents personnes se sont
inscrites sur le wiki (site web participatif où tout le monde est invité à
écrire) ouvert pour l’occasion et ont participé à cette « non-conférence »
où tout le monde pouvait participer. Le dispositif de prise de parole mis
en place est en effet assez original. Au début d’un
barcamp
chaque par-
ticipant se présente rapidement en disant son nom, sa situation actuelle
(entreprise, projet, association, etc.) et trois
tags
donnant une idée de
ses préoccupations du moment. Ensuite, chaque personne qui souhaite
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