Cahier numéro 10 - page 54-55

La notion d’économie collaborative nous interroge sur plusieurs aspects :
tout d’abord, sur les niveaux de partage et de collaboration entre les
acteurs. Michel Podolak nous rappelle qu’il y a une différence entre
collaborer,
faire avec et
coopérer
, réaliser uneœuvre ensemble.
Partager
met l’accent sur la réciprocité. Celaouvredes potentiels enmatièred’action
collective avec des degrés d’implication variés. Derrière le concept d’éco-
nomie collaborative, il y a l’idée de faire participer un plus grand nombre
de citoyens et de favoriser d’autres modes de collaboration. OuiShare
met l’accent sur le
peer to peer,
l’ouverture et la dimension transversale
quiéchappeàl’organisationpyramidale.Maislaquestiondelacollaboration
touche également les règles du vivre-ensemble et la gouvernance.
Promouvoir une gouvernance plus participative implique aussi que les
acteurs soient aussi plus coresponsables.
Bernard Stiegler, philosophe qui inspire le mouvement d’économie
collaborative, insiste sur le fait que ce qu’il appelle « l’économie contri-
butive » implique un changement radical de nosmodes de production et
d’échange en rompant avec le consumérisme. « Nous n’en sommes pas
là, mais c’est ce vers quoi il faut tendre », dit-il
19
.
Dans le domaine sociologique, l’étude de l’évolution desmodes de vie et
de consommation montre également des changements d’aspirations et
de pratiques comme nous avons eu l’occasion de le montrer de manière
récurrente dans nos
Cahiers des Entretiens Albert-Kahn
. La contrainte
économique est souvent celle qui guide le premier pas vers une pratique
collaborative, mais elle est toujours accompagnée d’unemotivation plus
profonde, celle de faire autrement, sous-entendumieux pour soi et pour
les autres.
Forts de ces caractéristiques dessinées à grands traits, la question que
l’on peut se poser est : qu’est-ce qui change vraiment dans l’économie
collaborative ? On voit que ce n’est pas encore le changement demodèle
économique radical espéré, que les notions de partage et de coopération
ont de tout temps existé. Ce qui change, selon nous, c’est, d’une part,
l’ampleur du phénomène permis grâce au numérique. C’est par exemple
ce qui explique la différence entre une AMAP et la Ruche qui dit Oui. La
Ruche qui dit Oui, la plateforme numérique est structurante, c’est elle
qui organise l’achat et la vente de produits biologiques. D’autre part,
c’est le sens qui est donné à l’acte collaboratif. Par exemple, les personnes
qui soutiennent financièrement des projets chez KissKissBankBank le
font parce que le projet est porteur de sens, souvent très créatif. Elles
savent que c’est probablement unedes seulesmanières pour que leprojet
voie le jour (sous-entendu qu’il ne serait pas financé par la voie classique
bancaire). C’est une manière de poser un acte presque politique, de
contribuer àunprojet plus grandqu’elles. Les exemples dans les domaines
énergétique et agricole cités par Maximilien Rouer comme Terre de liens,
montrent que l’objectif est d’agir de manière plus durable, c’est-à-dire
dans le respect des dimensions économique, sociale et écologique.
Mais l’économie collaborative est également intéressante car elle est
transformationnelle. En contribuant, on se transforme soi-même. La dé-
marchemenée par La Poste demettre à disposition la flotte des véhicules
à ses salariés est révélatrice de cette volonté de pousser les frontières
et d’expérimenter des choses nouvelles. Elle montre comment l’expéri-
mentation peut être source de réinvention pour l’entreprise. Au niveau
territorial, l’intérêt du collaboratif est certainement de susciter la
participation citoyenne, voire de la réveiller.
Derrière cette émergence, se trame un véritable changement de para-
digme culturel qui se caractérise, selon nous, par la recherche d’émanci-
pation au niveau individuel et d’interdépendance au niveau collectif
20
.
Cela nécessite une certaine maturité de la responsabilité voire de la
coresponsabilité. Alain Gauthier nous a déjà décrit dans un
Cahier des
Entretiens Albert-Kahn
,
Comment créer de la transversalité
, les fon-
dements du co-leadership. Est-ce que cela touche réellement tous les
citoyens ou plutôt une frange minoritaire de la population, ce que l’on
appelle les acteurs du changement ?
Pour OuiShare, le
territoire collaboratif
est celui qui « accueille et fait
fructifier les usages, projets, espaces et outils issus de l’économie
collaborative au service du développement de territoires prospères,
horizontaux et ouverts ». Il en propose une typologie à partir des expé-
riences recensées dans lemonde : en partage, productif et en communs.
L’argument proposé par Maximilien Rouer est intéressant, il va loin en
proposant l’implication de tous, État, territoires, citoyens, entreprises en
développant le cofinancement.
Des questions demeurent, qui vont bien au-delà du périmètre départe-
mental : comment la réglementation de ces activités va-t-elle évoluer ?
52
53
(19) OuiShare Fest, Paris, 16mai 2014.
(20)CarineDartiguepeyrou,«Prospectiveculturelledenossociétés»,in
Prospective
d’unmondeenmutation
,ouvragecollectifsousladirectiondeCarineDartiguepeyrou,
L’Harmattan, 2010.
1...,34-35,36-37,38-39,40-41,42-43,44-45,46-47,48-49,50-51,52-53 56-57,58-59,60-61,62-63,64
Powered by FlippingBook