Cahier numéro 10 - page 40-41

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Voici un exemple que nous citons souvent : au tout début de l’industrie
de l’automobile, quand il est devenu possible de construire des automo-
biles en masse, un lobby a ralenti l’explosion de l’industrie de la voiture
d’une dizaine d’années : c’était le lobby des cochers. À Londres, à Paris, il
fallait aménager les routes pour permettre à cette industrie de décoller.
C’était le plus gros lobby à l’époque dans les grandes villes. Ils disaient
qu’on allait tuer les vielles dames, que les gens allaient se mettre dans
les arbres, etc.
L’impossibilité de l’économie traditionnelle d’accepter
la mise en place de l’économie progressiste de l’époque a fait que le
marché de l’automobile a mis dix ans à décoller
. C’est un bon exemple.
Aujourd’hui, l’industrie automobile est une des plus grosses industries
du monde. Il faut donc se poser la question de savoir ce qui est en train
de pousser derrière l’économie collaborative, s’il n’y a pas le futur, l’équi-
valent de l’industrie automobile.
Cette économie doit être intégrée dans une réflexion globale, en partant
des carences de l’économie traditionnelle et en regardant les usages.
C’est ce que nous faisons avec les outils de l’économie collaborative, et
nous arriverons à monter des modèles économiques. Si par contre, on
raisonne juste en disant : « Hubber, en se développant, va minimiser la
valeur de la licence des taxis », on n’avance pas. Mais il y a une logique
à cela, et si l’on ne se projette pas dix ou vingt ans en avant, et surtout,
si on ne se projette pas à la place de l’utilisateur (qui voit tout de suite
l’avantage entre un Hubber et un taxi, c’est sans commune mesure le
Hubber par rapport à un taxi qui l’emporte, en termes de flexibilité, de
service, de prix, de géolocalisation, c’est l’Ancien Monde et le Nouveau
Monde…), si on se bat pour empêcher ce Nouveau Monde d’exploser,
sous prétexte que le web est quelque chose de difficile à contrôler et à
réglementer, on marche sur la tête et on revient dans la même situation
qu’il y a cent ans avec notre lobby des cochers contre l’industrie nouvelle
de l’automobile.
Le projet de KKBB
aujourd’hui ne ressemble plus tout à fait à celui qu’on
avait en tête au moment où nous l’avons créé, comme tous les projets
entrepreneuriaux. À l’époque, quand les réseaux sociaux ont explosé,
nous qui sommes très portés vers la contre-culture et la culture qui ne
vient pas des grosses industries culturelles et des grands médias, nous
avons vu tout de suite que sur les réseaux sociaux, on arrivait à commu-
niquer avec les artistes, qu’il y en avait desmilliers et desmilliers, et qu’il
fallait leur donner un outil pour leur permettre de se financer – et que
les réseaux sociaux allaient le permettre. Il suffisait de créer une pla-
teforme liée aux réseaux sociaux qui permettrait aux gens d’échanger
des noms ou des projets d’artistes pour, potentiellement, en écouter des
La Banque postale est la première banque dans le monde à avoir monté
un partenariat avec une plateforme de financement participatif
. Très
souvent, le premier réflexe des banques est de penser que cela crée des
opérations en dehors de chez elles et cela ne leur va pas du tout. Elles
essayent plutôt de les étouffer, de les contrôler oude les racheter, de faire
en sorte que cela ne se développe pas trop vite. C’est le premier réflexe
de lobbys qui sont très puissants, très incarnés, et qui représentent
des milliers et des milliers d’emplois, des centaines et des centaines de
milliards, et qui, bien sûr, ne se laissent pas attaquer de front par des
choses très alternatives.
La Banque postale a ouvert le chemin vers une discussion, une com-
préhension, voire une collaboration. Voici comment cela s’est passé. À
l’époque, Didier Guillaume, le directeur marketing de la Banque postale,
voit apparaître dans les participations de la Banque postale le nom de
KKBB, qui est financé en partie par le fonds d’investissement XAnge
Private Equities, qui est une filiale de La Poste. En regardant son rapport
de fin d’année sur les participations, il voit ce nom, KissKissBankBank.
Didier Guillaume appelle le président du fonds d’investissement pour
que je le rencontre. Au bout d’une demi-heure, sans connaître vraiment
l’univers du web, Didier Guillaume me dit que nous étions en train de
répondre à des carences réelles qui existent dans lesmilieux financiers !
J’ai marqué un temps d’arrêt, j’ai cru que je rêvais, et nous sommes partis
sur l’idée de monter un partenariat. Tous les mois, la Banque postale
vient choisir un projet coup de cœur et le finance à moitié, et nous, pour
que ces opérations soient comprises, nous racontons leur histoire sur
les réseaux sociaux lors d’événements ; nous avons donc monté des
événements avec les médias et nous racontons l’histoire de ces projets
soutenus.
En unmois, nous avions monté, avec une grosse société, un partenariat.
Ma vision avait complètement changé : j’étais passé d’une vision très
traditionaliste d’une banque que je considérais comme le représentant
de l’Ancien Monde à un partenariat très ouvert et progressiste, totale-
ment innovant, avec des gens qui, pour moi, ne pouvaient pas vraiment
comprendre ce que nous faisions.
C’est bien la preuve que l’absorption
de l’économie collaborative dans l’économie traditionnelle est simple
à réaliser
: il suffit que les gens qui dirigent l’économie traditionnelle
sentent les ouvertures dans l’économie collaborative. Tant que ceux qui
« possèdent » l’économie traditionnelle voient l’économie collaborative
comme un trublion et comme une économie qui vient siphonner leurs
industries les unes après les autres par le dessous, alors ils se recroque-
villent, réflexe assez naturel, et lui trouvent tous les maux de la terre.
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