Cahier numéro 10 - page 22-23

par la grande distribution, consommés, puis rapidement transformés
en déchets, ultime artefact résiduel des territoires ayant perdu tout
rapport au processus de fabrication. Comme alternative, Neil propose le
DIDO : «
Data In, Data Out
», soit la libre circulation des données et des
connaissances à l’échelle mondiale, pour favoriser la fabrication locale
de biens
open source
, au moyen d’une chaîne de production inclusive.
Le territoire productif implique une démocratisation des moyens de
production
permise par l’ouverture de Fab Labs et de
makerspaces
sur le
territoire, où collaborent
makers
et artisans, designers et entrepreneurs,
experts et néophytes. Cette démocratisation est d’abord technologique :
des outils de fabrication numérique tels qu’imprimantes 3D, découpes
laser ou encore fraiseuses à commande numérique étaient encore il y
a peu l’apanage des seuls professionnels. Mais elle s’opère également
sur les savoirs, partagés localement au sein des communautés des lieux
de fabrication, ou encore par le biais de formations dispensées au sein
des espaces. Hybrides, ancrés sur leur territoire mais connectés glo-
balement, à l’instar du réseau des Fab Labs qui rassemble aujourd’hui
plus de 350 labs à travers le monde (un nombre qui double tous les
dix-huit mois), ces lieux sont à la fois un terrain de jeu pour
makers
et
entrepreneurs, mais aussi une « fabrique de quartier »
9
accueillant les
populations des territoires.
Pour atteindre la vision DIDO, cette infrastructure locale est amplifiée
par le partage des savoirs, des connaissances et des outils sous licence
libre, c
reative commons
ou
open source hardware
. C’est ce qui permet,
par exemple, à un
maker
français de mettre à disposition les tutoriels,
plans et fichiers 3D de son projet qui pourra alors être répliqué, amélioré,
et adapté localement par un Brésilien, en fonction de son contexte local,
forcément différent, et qui pourra ensuite partager sa version avec la
communauté.
Historiquement cantonné aux logiciel et aux contenus numériques,
la logique
open source
s’étend désormais à des projets «
hardware
»
aussivariésqueledesigndemobilier(OpenDesk),lesbâtimentsetl’habitat
(WikiHouse), l’électronique (Arduino, Snootlab) ou encore l’automobile
(Wikispeed,OpenSourceVehicle,ouplusrécemmentlegéantTeslaMotors).
Le territoire s’étant emparé de cette promesse avec le plus de conviction
est la ville de Barcelone, où la municipalité et l’Institut d’architecture
ont produit ensemble le plan « Fab City », qui comporte six chapitres :
le déploiement d’une infrastructure locale en réseau, comprenant au
moins un lieu de fabrication partagé par quartier ; l’animation de sa
communauté locale de
makers
, artisans et entrepreneurs du
hardware 
;
l’enseignement des techniques de fabrication numérique auprès des
étudiants, à l’université, mais aussi auprès du grand public, dans une
démarche d’éducation populaire ; le financement de programmes de
recherche sur la fabrication distribuée ; le déploiement d’un réseau
internet super haut débit ; et enfin un plan d’urbanisme prévoyant l’inté-
gration de lieux de vie et de production au sein des mêmes quartiers.
Cette vision s’insère dans celle, plus large, de la « ville auto-suffisante »
qui inclut pour la capitale catalane des objectifs très ambitieux de
production locale : 100 % de la production énergétique, 50 % de la
production alimentaire et 50 % des biens manufacturés. Pour atteindre
ce dernier objectif et mettre enœuvre la Fab City, lamunicipalité prévoit
un Fab Lab par quartier d’ici 2020. Cinq ont d’ores et déjà été ouverts et
les suivants sont en route.
Il va de soi que les territoires productifs ne vont pas supplanter du jour
au lendemain le modèle industriel dominant, mais ils nous offrent une
vision inspirante de ce que pourrait être le nouveau rapport aux biens
matériels. L’effacement de la frontièreentre consommateur et producteur
et la figure du «
prosumer
» pourrait bien s’étendre au-delà de la seule
sphère numérique où elle s’est déjà imposée (grâce au logiciel libre, wi-
kis, médias sociaux, outils de production de contenus numériques, etc.)
et créer un continuum entre fabrication en série et fabrication person-
nelle, adaptant la production de biens à la longue traîne des besoins,
tout en réduisant l’impact environnemental des chaînes de production.
Les territoiresencommuns : repenser lagouvernance
des territoires à l’aune de l’implication citoyenne
Le territoire en communs, ou territoire en biens communs, est peut-
être la composante la plus ambitieuse des territoires collaboratifs. On
pourrait le définir comme un territoire où les citoyens sont directement
impliqués dans la fourniture du service public local (ce que Tommaso
Fattori nomme « commonisation du service public »
10
), mais aussi dans
le processus politique, ou encore dans la gestion citoyenne, partielle ou
20
21
(9) L’expression a été forgée par Woma, lieu de fabrication situé dans le 19
e
arron-
dissement à Paris.
(10) Référence sur le site de la P2P Foundation : p2pfoundation.net/Public_-_
Commons_Partnership_and_the_Commonification_of_that_which_is_Public
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